[ANALYSE] Fault – Milestone one

Attention cette chronique contient des SPOILERS, vous êtes prévenus. Bravo ! Vous avez fini de lire le test et vous en voulez plus ? Autant ouvrir un espace de discussion ici pour essayer d’aller plus loin et vous proposer (en toute modestie) mon analyse sur Fault – Milestone one.

Qu’est-ce qui fait un être humain ?

Oui, on attaque tout de suite un gros point. Finalement, plus on avance dans l’histoire et plus elle se détache de l’idée du retour des deux protagonistes principaux pour aborder une question plus philosophique : qu’est-ce qui fait un être humain ? Cette question trouve sa matérialisation en la personne de Rune. Tout l’enjeu tourne autour ce qu’est Rune ontologiquement (l’ontologie, c’est l’étude ce qu’est l’être en lui-même). Qu’est Rune ? Une machine ? Un réceptacle ? Une conscience ? Et, in fine, si Rune possède une conscience, n’est-elle pas humaine même si son corps est une machine ?

Ce thème de l’humanité, de ce qui fait un être humain, se retrouve dans beaucoup de classiques de la production culturelle japonaise. C’est notamment la question centrale de Ghost in The Shell, pour prendre l’exemple le plus marquant. Comme le montre bien l’article de Pauline Croquet dans Le Monde (qui traite principalement de Ghost in The Shell), cette thématique, à savoir ce qui différencie un humain d’une machine avec une conscience, est prégnante dans la culture japonaise de par l’importance des robots au Japon et du rapport bienveillant des hommes par rapport à eux. Dans Fault – Milestone one, Rune, ou tout du moins son esprit, est ramené sur Terre pour pouvoir s’amender de ses fautes passées. Qu’est-ce Rune sinon l’alliance ultime de la technologie et de la magie qui permet de s’affranchir des limites du corps et ouvre la voie au transhumanisme ? Pour finir, citons ce bon vieux René qui vous disait dans vos cours de lycée « Cogito, ergo sum » (je pense donc je suis) et qui partait du postulat que la seul certitude que nous ayons c’est d’avoir conscience de nous-même. Alors, si une machine à une conscience, qu’est-elle ?

Japon et « Techno-Magie »

L’autre point qui m’a marqué dans Fault, c’est l’utilisation de ce que j’appelle « techno-magie » dans le sous titre, à savoir une hybridation entre magie et technologie. Cette hybridation se retrouve dans finalement pas mal de productions culturelles quand il s’agit de justifier la cohérence du monde. Ici, la magie est symbolisée par le mana (quelle surprise) et la technologie par la bordure extérieure. Tout l’intérêt de l’univers de Fault repose sur le conflit qui oppose ces deux mondes, entre la bordure extérieure pratiquement dépourvue de mana et la bordure intérieure qui en regorge et a permis une avancée culturelle forte. La bordure intérieure sans mana a dû développer son industrie et, par la même, des machines (tiens donc) qui conduirons à la création de Rune.

Il est possible que je me trompe mais il me semble que cette idée de mélanger magie et technologie est aussi fortement présente dans la production artistique japonaise. L’exemple qui me vient en tête en premier, bien que loin d’être le plus marquant, est Legend of Heroes : Trails of Cold Steel, que j’ai fini l’année dernière. Petit J-RPG qui proposait, lui aussi, une vision techno-magique du monde avec des orbes qui ont modifié la perception et le monde dans lequel évoluaient les protagonistes.

Le mana radioactif ?

Allons encore plus loin et imaginons que la magie dans ces productions ne soit que le reflet inconscient de l’énergie nucléaire. Cela peut paraître tiré par les cheveux mais ce qui m’a fait penser à cette association est le rapport qu’entretiennent les protagonistes de Fault – Milestone one avec le mana. Plusieurs fois il est fait référence au choc qui attends les habitants non habitués au mana s’il se rendent dans la partie du monde où celui-ci se trouve en profusion. Choc de mana qui finit par les tuer car leur corps ne peut pas métaboliser cette énergie. Le mana correspond à l’énergie présente dans les être vivants et le domestiquer a permis à la bordure extérieure d’accéder au confort moderne et de rentrer dans l’ère industrielle.

Pour continuer dans cette voie, il est fait référence plusieurs fois à un concurrent qui produirait du mana mais de manière dangereuse. Ceux qui travaillent pour lui feraient l’objet de changements physiques, deviendraient fous puis mourraient. De là à voir cela comme une métaphore des radiations et de leur influence sur l’organisme, il n’y a qu’un pas. Dernier point, Cid, le découvreur de cette énergie, va périr par elle des suites d’une contamination lors de ses recherches tout comme sa femme (bien que de manière plus indirecte, je vous l’accorde), peut-être une référence au couple Curie (bien que Pierre Curie ne soit pas mort des suites d’une exposition aux radiations).

Des thématiques actuelles

Ces thématiques, la technologie comme moyen de s’affranchir des limites de son propre corps, l’usage (bon ou mauvais) de l’énergie (en particulier nucléaire) trouvent des échos profonds dans la société japonaise actuelle mais aussi au-delà. La recherche scientifique progresse chaque jour en ce qui concerne les progrès sur l’intelligence artificielle et peut-être verrons-nous un jour une machine capable de passer le test de Turing, voire d’avoir une conscience propre. D’autre part, la thématique nucléaire, ou tout du moins du rapport entre le Japon et l’énergie, se pose de manière d’autant plus forte dans un Japon post-Fukushima qui a toujours un rapport ambiguë avec cette source d’énergie. Source d’énergie qui permet d’aller de l’avant mais peut être aussi un facteur de destruction dans un pays marqué par deux bombes atomiques et une catastrophe nucléaire.

Dès lors, il n’est pas étonnant de voir ces thématiques se retrouver dans énormément de productions culturelles. Mais ce qui m’a le plus frappé après avoir terminé Fault – Milestone one, c’est de voit à quel point le traitement autour de ces thématiques reste le même. À quel point il est difficile de, non pas laisser ces thématiques derrière soi, mais d’arriver à dépasser le traitement habituel pour proposer une vision renouvelée de ces sujets. Entre Ghost in The Shell et Fault – Milestone one, 24 ans se sont écoulés et la question reste la même, son traitement reste le même.

Doujin Dash

Alors, oui, Fault – Milestone one n’est pas une œuvre révolutionnaire ni une œuvre majeure japonaise, ce n’est qu’une production venant de l’univers doujin (amateur). C’est ce qu’on pourrait objecter sachant que la scène amateur est profondément respectueuse des codes des genres auquel elle se rattache. Il n’est alors pas extraordinaire de voir un traitement des codes tels quels. Mais pourtant, n’ayant par définition pas d’impératif si ce n’est celui de la création n’est-ce pas là que devrait se faire un renouveau audacieux ? La question reste ouverte. Néanmoins, je suis mauvaise langue car il y a bien un endroit où Fault – Milestone one innove, c’est dans la place des femmes.

On ne va pas tourner autour du pot : la question de la place des femmes et du respect des différences dans la société japonaise est délicate. Pourtant, dans le jeu, il n’y a que des héroïnes. RitonaSelphine et finalement Rune. Il est fait référence au monde d’où viennent Ritona et Selphine et dans lequel les crimes sexistes n’existent plus et où hommes et femmes sont parfaitement égaux. Les deux ont même un moment d’aversion quand elles comprennent que le monde dans lequel elles se trouvent se révèle être une société patriarcale dominée en général par des hommes. Pour un jeu japonais, avoir une thématique forte comme celle-ci mérite d’être mis en avant.

J’espère que cette analyse un peu plus poussée de Fault – Milestone one vous a plu, n’hésitez pas à partager vos impressions et à donner votre avis. Comme dit dans l’article sur Dropsy, il manque certainement certains axes ou points spécifiques que j’ai laissé de côté ou tout simplement loupé, mais cela sera l’occasion de pouvoir en discuter et en débattre avec vous.

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