[EDITO] Arrêtez de précommander !

La culture de la précommande est un cancer dans l’industrie du jeu vidéo. C’est anti-consommateur et ça pousse les développeurs à des pratiques peu savoureuses. Les joueurs sont nombreux à en avoir fait l’expérience. Nous allons parler des raisons pour lesquelles vous ne devez plus précommander vos jeux.

Aujourd’hui, il n’y a pas un seul jeu AAA qui ne vous exhorte pas à précommander des mois en avance : « Précommandez dès maintenant pour recevoir votre édition numérique premium avec deux trois goodies, on vous promet que le jeu sera bon ». Sauf que voilà, les jeux ne sont pas toujours bons. Et si ce n’était que la qualité du jeu… Après tout, je peux comprendre le fait de se laisser embarquer dans la machine du hype et finir par être déçu. Tous les jeux ne peuvent pas être bons. Mais combien de fois avons-nous eu des jeux qui sortaient complètement truffés de bugs, avec des problèmes de serveurs graves, ou pire, des jeux qui n’ont tout simplement pas grand-chose à voir avec ce qu’on nous avait promis ?

La culture de la précommande dans le jeu vidéo est particulière : unique dans le divertissement, je dirais. Après tout, quand vous achetez vos places de cinéma en avance, vous risquez au pire de ne pas aimer le film, quand vous précommandez un album de musique ou un livre, pareil. On ne risque pas de se retrouver avec un CD qui ne marche pas, un livre imprimé à l’envers ou un film qui coupe en plein milieu.

Mais dans les jeux vidéo, si vous précommandez, vous serez contraint de faire face à tous les problèmes du lancement, sans vrai recours possible quand votre jeu tant attendu marche comme un canard boiteux. Vous n’avez plus qu’à attendre un patch et espérer que les problèmes soient réparés. On se rappelle trop bien des histoires d’horreur comme Assassin’s Creed III (que j’avais dû tester à l’époque, avant les patchs et qui était horriblement buggé), Batman : Arkham Knight et Mortal Kombat X qui avaient donné des cauchemars à pas mal de joueurs PC, ou Bayonetta, dont la version PlayStation 3 était clairement inférieure, nécessitant de nombreux patchs avant d’être au niveau de la version Xbox 360. Et puis, comment ne pas mentionner les jeux de Bethesda qui sont tous complètement truffés de bugs à la sortie et qui ne deviennent vraiment jouable qu’après un ou deux mois (à l’exception de la version PlayStation 3 de Skyrim qui n’a tout simplement jamais été réparée complètement).

Plus insidieux encore, les campagnes de précommande devant être alléchantes, les techniques de vente sont parfois franchement limite, avec des exemples flagrants, comme Aliens : Colonial Marines qui avait carrément créé une démo qui n’avait rien à voir avec le jeu final (à un point tel qu’on aurait l’impression que le jeu final est basé sur une version alpha). Autre exemple encore : la campagne « Augmentez votre précommande » de Deus Ex : Mankind Divided, qui poussait carrément les acheteurs à encourager leurs amis à faire de même, puisque les bonus de précommande ne se débloqueraient que si certains paliers de précommande étaient atteints. C’est quand même limite de vendre des bonus sous condition que l’acheteur pousse lui-même à la consommation…

Plus récemment, No Man’s Sky s’est attiré les foudres des joueurs avec des trailers qui promettaient tant et un jeu final qui n’arrivait pas à combler leurs attentes. C’est encore plus dommage quand on considère que le jeu n’est pas mauvais du tout et a reçu récemment un patch qui a ajouté énormément de contenu qu’on voulait avoir à la sortie. Clairement, une campagne de promotion plus honnête n’aurait pas fait de mal au jeu avant le lancement, et aurait aidé après coup pour faire attendre les fans pendant que Hello Games finissait leur patch. Mais pour pousser les précommandes, il faut en promettre des tonnes et tant pis si le développeur se retrouve à devoir ramasser les morceaux après coup.

Pour peu que le jeu soit focalisé sur le multijoueur, croisez bien les doigts que ces problèmes initiaux ne tuent pas la communauté multi. Parce que dans ce cycle de précommande qui donne toute l’importance aux ventes de la première semaine de sortie, si le jeu se casse la figure trop vite, les éditeurs et développeurs ne seront pas très motivé pour investir l’argent nécessaire à réparer ce qui aurait dû marcher à la sortie.

C’est vraiment là que l’obsession des précommandes chez les éditeurs montre son côté le plus pernicieux. Les chiffres de lancement doivent être énorme ! C’est comme ça que le succès d’un jeu est mesuré. Donc on pousse les précommandes au maximum pour assurer le maximum de ventes la première semaine. Qu’importent les moyens. Trailers mensongers, promotions superflues, bonus « exclusifs » de précommande qui seront vendus séparément deux semaines après la sortie, et ainsi de suite. Certaines enseignes poussent le vice jusqu’à obliger leurs clients à précommander s’ils veulent le jeu le jour de la sortie, une aberration dans l’ère de la distribution digitale. Mais la conséquence désastreuse de cette politique de vente est que si le jeu n’est pas un succès immédiat, les éditeurs sont immédiatement encouragés à abandonner le projet et à passer au suivant.

Au lieu de laisser le temps au jeu de grandir, de mûrir et à la communauté de se former, c’est une course au chiffre dès le début. Des jeux comme Evolve en ont gravement souffert. Après une campagne de communication ridiculement axée sur les précommandes, des promesses pour le moins rocambolesques quant au côté esport et un season pass qui promettait beaucoup de contenu additionnel, le jeu est sorti avec de gros problèmes d’équilibrage entre chasseurs et monstre et le public n’a pas mordu à l’appât comme l’espérait l’éditeur. Résultat : le jeu est mort en quelques mois, pour finir par tenter une résurrection via le free to play cette année. Un jeu si focalisé sur le multi coop et compétitif avait pourtant besoin d’un peu de temps pour respirer et trouver son public. Mais dans ce cycle de précommandes sans lendemain, si on ne tape pas fort dès le début, c’est l’échec.

Vous me direz que ce que je viens de décrire semble encourager les joueurs à montrer leur enthousiasme pour un jeu le plus tôt possible, pour garantir le succès du titre et assurer le support sur le long terme. Et, en effet, avec le système actuel, il est difficile de montrer à un éditeur qu’on souhaite voir un jeu vivre longtemps autrement qu’en sautant dessus dès le début. Mais c’est là que je dirais que nous devons changer.

Le système de précommandes est un engrenage qui décourage le suivi dans le long terme. Un client qui achète le jeu en avance est automatiquement considéré comme étant de valeur plus élevée par l’éditeur que quelqu’un qui attend. Mais de la même façon, une fois le jeu sorti, comme l’éditeur a misé toute sa stratégie sur le lancement, c’est là que le jeu fait un profit, ou s’écroule. Si le jeu se vend bien, l’éditeur a fait son beurre, que le jeu soit bon ou pas. Du coup, si le jeu est un succès, il y a moins de raison de continuer à investir dans le jeu en réparant ce qui ne marche pas, ajoutant du contenu pour continuer à vendre des copies, ou pour satisfaire les joueurs qui ont acheté le jeu les yeux fermés. Donc sans un public large, il est difficile d’espérer un suivi sur le long terme d’un jeu. Les exemples de titres qui sont tombés dans l’oubli parce que leur lancement n’a pas atteint les attentes des éditeurs sont légions. Mighty No.9, qui a tout simplement abandonné le développement de certains pans du jeu promis sur Kickstarter, vient à l’esprit.

Dans certains cas, le contenu ajouté après lancement est nécessaire, mais arrive bien trop tard, avec des conséquences malheureuses pour les fans de la première heure. Récemment, Final Fantasy XV s’est fait remarquer pour les trous béants dans son histoire. Si vous n’avez pas vu Kingsglaive : Final Fantasy XV, certains personnages semblent complètement hors contexte. C’est vraiment dommage quand on prend en compte que ce nouvel épisode est déjà considéré par beaucoup comme le meilleur Final Fantasy depuis des années (certains diraient même depuis le dixième épisode). Et pour répondre à ces critiques, Square Enix a annoncé l’ajout de scènes supplémentaires via une mise à jour. Ce contenu sera gratuit, ce qui est fantastique, mais il arrive malheureusement un peu tard pour ceux qui ont déjà fini le jeu… trop tard pour ces joueurs qui ont montré leur enthousiasme dès le début et qui se sont retrouvés avec une expérience diminuée par rapport à celle que j’aurai dans quelques semaines quand je me déciderai à l’acheter. C’est vraiment le monde à l’envers, mais en attendant, je vais pouvoir jouer à une version bien plus complète que si je l’avais précommandé.

Cela fait longtemps maintenant que je ne précommande plus rien. Je joue sur PC depuis toujours et même si ce n’est pas ma seule plateforme, c’est clairement celle que je préfère. Et en tant que joueur PC, je sais que les jeux ont tendance à sortir avec des bugs. Parfois, ce n’est quasiment rien, mais d’autres fois, c’est presque injouable. Cela dit, je sais aussi que quelques semaines, parfois quelques jours, suffisent pour recevoir les patchs nécessaires pour rendre le jeu parfaitement jouable. Alors pour éviter les mauvaises expériences d’un point de vue purement pratique, j’attends. Et comme j’attends et que les éditeurs regardent si attentivement les chiffres de précommandes et de ventes la première semaine, les chances que le jeu qui m’intéresse soit vendu à prix réduit après quelques semaines sont très fortes. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai pu mettre la main sur un gros titre sorti il y a moins d’un mois avec 30% ou plus de réduction. Enfin, attendre me permet aussi parfois de voir le vent tourner sur un jeu et d’éviter de plonger sur un titre qui serait mort 3 mois plus tard (comme Evolve ou Battleborn).

Le résultat est simple : je prends le temps de voir ce que les gens disent sur les jeux qui m’intéressent, de voir comment la communauté multi se porte, si le jeu est plein de bugs, attendre me permet d’éviter les prises de tête, et enfin j’arrive généralement à acheter le jeu à un prix moindre avec parfois quelques DLCs bonus pour une bouchée de pain. Attendre deux semaines pour DOOM m’a permis de l’acheter avec 40% de remise. Jouer à Assassin’s Creed Unity quelques mois après m’a évité tous les bugs affreux et ne m’a coûté qu’une fraction du prix, ce qui a fortement aidé le jeu qui est effectivement assez décevant. Mais pour ce que j’ai payé, ça ne me pose pas vraiment de problème, puisque je n’ai pas payé au prix fort pour avoir une expérience moins bonne le jour de la sortie. Malgré mon envie de jouer à Fallout 4, j’ai attendu de voir comment le jeu se portait, et j’attends toujours, pas entièrement convaincu que cet épisode soit à mon goût. Après tout, je pourrais toujours le prendre moins cher une fois la version GOTY sortie avec tout le DLC inclus.

C’est vraiment cela que je voudrais encourager plus de monde à faire. Attendez. Si vous ne pouvez pas aller voir Star Wars le jour de la sortie au cinéma, vous n’allez pas en souffrir, n’est-ce pas ? Vous irez juste un peu plus tard. Et dans le cas de Star Wars, vous devrez bien y aller à un moment sinon il ne sera plus dans les salles, et le prix reste le même de toute façon. Mais pour les jeux, tout devrait vous encourager à attendre. L’expérience sera meilleure, le prix plus bas, et le jeu ne risque pas de disparaître, puisque aujourd’hui on peut toujours acheter un jeu en dématérialisé. Et si dans le pire des cas le jeu venait à échouer et la communauté online mourrait rapidement, attendre vous permet d’éviter de vous investir dans un titre qui n’a pas d’avenir. Ça parait être du win-win-win en fin de compte.

Alors, je vous en prie : Arrêtez de précommander.

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