Axiom Verge : Entretien avec Dan Adelman

Entretien avec Dan Adelman, vétéran de l’índustrie du jeu vidéo, qui nous balade du développement d’Axiom Verge à l’évolution de l’eShop de Nintendo en passant par Kickstarter et le Pub Fund de Sony.

Dan Adelman et Tom Happ nous ont contacté pour nous offrir un entretien lors de ma visite à Nordic Game Conference fin mai. C’est avec pas mal d’anticipation que j’ai préparé l’interview, plein de questions que j’étais après avoir plongé dans le jeu. Malheureusement, Tom Happ s’est retrouvé dans l’incapacité d’arriver en Suède. Pas de bol, mais surtout, mon interview était tout de suite plus difficile à conduire, sans le développeur du jeu. Mais si toutes les questions de game design qui me trotaient dans la tête étaitent devenues semi-hors sujet, c’est avec un très grand plaisir que j’ai pu, au lieu, sonder le puit de savoir qu’est Dan Adelman et son experience dans l’industrie qui remonte jusqu’au début de notre siècle !

GamersFlag : Dan Adelman, nous sommes ici pour parler d’Axiom Verge, développé par Tom Happ, qui n’a malheureusement pas pu nous joindre aujourd’hui. Le développement a pris 5 ans, c’est assez long. Quand avez-vous rejoint le projet ?

Dan Adelman : J’ai quitté mon boulot à Nintendo, où j’étais en charge de la distribution dématérialisée pour Nintendo of America, en août 2014 et j’ai rencontré Tom Happ en septembre de la même année. Je pense qu’il avait vu mon annonce quand j’ai quitté Nintendo et il avait déterminé que s’il y avait un aspect du développement où il n’avait pas d’expérience, c’était le coté business. Donc ça s’est avéré être une rencontre parfaite. C’était en septembre, on est en mai maintenant, donc ça fait 8 mois qu’on travaille ensemble.

GF : Il avait donc déjà pas mal avancé dans le projet ?

DA : Oui, il a travaillé dessus 5 ans, mais il m’a aussi dit qu’il avait fait autant de progrès sur le jeu dans la dernière année que pendant les 4 précédentes combinées.

GF : Parce qu’il n’était pas à temps plein sur le jeu ?

DA : Exactement. Les 4 premières années, c’était vraiment un hobby sur lequel il travaillait les soirs et weekends. Comme il aimait faire le jeu, c’est ce qu’il aimait faire de son temps libre. Donc il développait le jeu en parallèle de son job à plein temps chez Petroglyph, où il travaillait sur des jeux de stratégie pendant la journée et le soir, quand vous et moi on serait crevé de faire toujours la même chose, il se disait : « Tiens, je vais faire mon autre jeu. » Mais il devait être limité à 10h par semaine environ. Il y a environ un an, il est passé à mi-temps à Petroglyph et travaillait environ 10h à Petroglyph et 60h par semaine sur son jeu, puis il y a environ 6 mois, il a quitté son boulot pour se mettre à plein temps sur le jeu. Quand j’ai rejoins le projet, j’ai du pouvoir jouer à… voyons voir, le jeu n’était pas complètement fini. On ne pouvait pas aller du début à la fin, on pouvait jouer jusqu’au 3ème boss. J’ai pu aller jusqu’au Glitch Ray en gros.

GF : J’ai vu que ce qui avait motivé Tom à commencer à travailler plus sur Axiom Verge est l’offre de Sony de joindre le Pub Fund. Pourriez-vous nous dire comment ça marche?

DA : La chose qu’il faut comprendre pour le Pub Fund est que ça ne finance pas directement le développement du jeu. À la place, c’est une garantie minimum. Ils assurent que si le jeu est fini, il y aura une garantie d’un nombre X de vente minimum. Je ne peux pas donner le nombre en question, mais en gros, ils sont allés voir Tom et lui ont demandé : « de combien de vente avez-vous besoin pour être confortable et finir ce jeu ? » Tom a donné un chiffre et ils ont juste dit : « on peut garantir ça. » C’est ça qui lui a donné la confiance dont il avait besoin pour quitter son job et finir le jeu.

GF : Donc en fait, au lieu de donner une somme dès le début, ils offrent une garantie d’un certain nombre de vente ?

DA : Oui, ça réduit grandement les risques et je sais que Tom est plus frileux que le développeur indie typique quand il s’agit des risques. Il est en train de fonder une famille, il vient de se marier. Et je pense aussi que c’est le cas pour beaucoup de développeurs indépendants quand ils commencent à vieillir un peu. Quand on à la vingtaine, ce n’est pas trop un problème de passer une semaine à dormir sur le canapé d’un ami, mais quand on passe la trentaine, qu’on a une famille, des gosses, on commence à se préoccuper de ce genre de chose.

GF : Diriez-vous que le Pub Fund et ce modèle de financement vont devenir plus fréquents pour les indies ?

DA : Je ne sais pas si le plan de Sony est de l’étendre, je crois que le Pub Fund est un peu fait pour leur projet coup de cœur. Ce que j’en ai compris est qu’il y a un consensus chez Sony que ce fond est relativement modeste et qu’ils l’utilisent pour montrer leur soutien aux jeux dans lesquels ils croient vraiment et qu’ils veulent voir sortir sur leurs plateformes. Principalement pour les idées un peu folles ou les projets très ambitieux. Quand ils disent : « on ne sait pas si le marché va suivre, mais on veut que vous le fassiez quand même.« . Je pense que le Pub Fund est un bon moyen de faire ça, et de temps en temps, vous avez un jeu comme Axiom Verge qui refait facilement son argent et on espère, remplit les caisses du fond.

GF : Vous avez d’autres exemples de jeux qui ont bénéficié du Pub Fund ?

DA : Il y en a plusieurs, comme N++ qui va bientôt sortir et qui est un jeu Pub Fund. Je n’ai jamais travaillé directement avec eux, mais je les ai connu depuis des années, ils sont très sympas. Salt and Sanctuary est aussi un Pub Fund qui va sortir plus tard cette année. Sinon, il y a aussi Guacamelee qui est un Pub Fund.

GF : Ils choisissent de bons titres !

DA : Ils ont l’oeil. Nick Suttner est la personne avec qui nous travaillons le plus. Je ne sais pas s’il est le seul à contrôler le Pub Fund, ou s’il supervise, mais je pense qu’il a l’oeil pour les bons jeux. Il était journaliste chez 1Up si je me rappelle bien ?

GF : Le jeu a été bien reçu, et je sais que vous travaillez sur d’autre plateforme. Pourriez-vous nous parler un peu de la réception sur PlayStation 4 ?

DA : Le lancement sur PS4 s’est extrêmement bien passé pour nous, dépassant complètement nos attentes. Je sais quoi attendre sur une console Nintendo, mais je n’étais pas si sûr sur PS4. Sony ne peut malheureusement pas me donner les chiffres, mais je peux dire que la garantie minimum qu’ils nous avaient donnée avait été récupérée avant quinze heure le jour du lancement. C’était presque immédiat, ça s’est passé fantastiquement bien sur PS4. On vient de lancer le jeu sur Steam, mais une contrepartie du Pub Fund est qu’il y a une fenêtre d’exclusivité pour Sony.

GF : Pour toutes les plates-formes, ou juste les consoles?

DA : Juste les consoles, c’est pour ça que nous sommes aussi sur Steam. Ils ont volontairement séparé les deux en fait. Initialement, le contrat avait une exclusivité plus longue avec Steam aussi, mais ils ont été très compréhensif par rapport à ça et nous ont dit qu’ils comprenaient que Steam allait être important pour nous et qu’ils ne le considéraient pas vraiment comme un concurrent direct, donc si nous voulions lancer sur Steam, nous pouvions. Ils se sont avérés être d’excellents partenaires pour ça.

GF : Avez-vous une date pour la version Vita ?

DA : Pas encore non. La difficulté est que pour la Vita, nous attendons des outils de la part de Sony. Ils travaillent dur sur ces outils. Axiom Verge a été développé avec Monogame, qui est originellement développé sur XNA, qui est une plateforme de développement pour Xbox. Quand Tom avait commencé, il pensait mettre le jeu sur la chaîne Indie Games du Xbox Live Arcade. Cette chaîne sur laquelle rien ne se vendait. Comme je le disais, Tom n’est pas un businessman… si je l’avais connu à l’époque je lui aurais déconseillé de faire ça, mais Microsoft a ensuite abandonné XNA et donc il est passé sur Monogame. Sony a aussi passé un accord avec les développeurs de Monogame pour qu’ils supportent la PS4 et la Vita. La version PS4 de Monogame est maintenant finie, mais la version Vita est encore en développement.  Donc on attend que la version Vita de Monogame soit finie. En attendant, il n’y a pas grand-chose que Tom puisse faire sans ces outils. La bonne nouvelle est que ceux qui travaillent dessus utilisent Axiom Verge pour leurs tests, donc ils sont plus ou moins en train de développer les outils autour du support pour Axiom Verge avec 2 ou 3 autres. C’est donc une priorité pour tout le monde et on attend juste que ce soit fait. Mais c’est probablement la question qu’on nous pose le plus.

GF : C’est un jeu parfait pour la Vita.

DA : Absolument.

GF : Vous avez vous-même une longue histoire dans l’industrie, avec 9 ans chez Nintendo dans votre position de chef de la distribution dématérialisée.

DA : Oui, 9 ans chez Nintendo, plus ou moins entièrement dans ce rôle. Les 6 premiers mois, je m’occupais de ce qu’on appelle les contrats Second Party, ce qui veut dire chercher des jeux à publier pour Nintendo, mais très vite, il y a eu des conversations sur ce nouveau service de distribution dématérialisée. On se demandait si on devait ouvrir le service à de nouveaux jeux aussi, car initialement c’était réservé aux jeux de la Virtual Console. La conversation disait : « on va sûrement autoriser les nouveaux jeux, mais on ne sait pas comment ça va marcher. » Tout le monde attendait de voir ce que dirait le Japon.

GF : L’initiative venait de vous ou du Japon ?

DA : Tout le monde aux États-Unis attendait de voir ce que le Japon allait faire, c’est le rôle d’une filiale. Rétrospectivement, je pense que j’avais de la chance que ma carrière jusqu’à ce moment avait été de travailler dans les maisons mère des compagnies avec lesquelles j’avais travaillé. Avant Nintendo, j’ai travaillé chez Microsoft, avant ça, j’ai travaillé au Japon. J’avais l’habitude d’être la personne qui prend la décision et de dessiner les plans donc je me disais : « pourquoi attendons-nous que la maison mère établisse une stratégie ? Je peux m’en charger.« . Donc j’ai fait les plans et défini les buts pour ce que je pensais qu’on devait faire avec le Wiiware.

Ça peut paraître un peu banal aujourd’hui, mais ma priorité était l’innovation dans le design. Parce qu’il y a 9-10 ans, ça manquait vraiment. World of Goo est sorti après que j’ai commencé à m’intéresser à l’innovation dans les jeux. Une des façons dont j’ai trouvé le titre est quand je cherchais des jeux plus innovants et expérimentaux. Il y avait ce site, experimentalgameplay.com qui était géré par Kyle Gabler et son ami Kyle Gray, les auteurs de Little Inferno d’ailleurs. Ils avaient plein de prototypes, en gros une collection de game jams. J’ai juste remarqué qu’à chaque fois que j’essayais un jeu qui était vraiment nouveau et intéressant, c’était toujours Kyle Gabler qui était l’auteur. Je ne me rappelle plus trop qui a contacté qui en premier, mais je voulais vraiment qu’on travaille ensemble et une fois qu’on a pris contact, il m’a dit qu’il voulait utiliser un de ses prototype pour en faire un jeu complet. Le prototype était appelé Tower of Goo.

GF : Je me rappelle qu’il était assez populaire sur PC à l’époque.

DA : Oui, il disait pouvoir en faire un jeu complet et je lui ai dit : « vas-y !« 

GF : Le Wiiware était vraiment intéressant, mais il y avait beaucoup de limitations. Comment est-ce que vous travailliez avec ces limites ? Si je me rappelle bien, Lostwinds avait poussé ces limites. Donc, comment ça s’était passé ?

DA : C’est un de ces cas où la stratégie que j’avais mis en place et celle venant du Japon n’étaient pas compatibles. Comme j’avais déjà mis en place une stratégie pour ce que je pensais qu’on devrait faire avec le service, quand les directives sont arrivées du Japon, ça a coincé à pas mal d’endroits. Une décision qui était très importante pour la maison mère, était qu’au début, la limite de tailles des jeux forçait les créateurs à être plus créatifs et à créer des expériences plus petites et intéressantes. Ils voulaient pousser les développeurs dans cette direction. Donc ils avaient cette limite de 40MB qui aujourd’hui semble ridiculement petite, mais qui a quand même permis à des jeux comme Lostwinds et World of Goo de marcher. Mais il y avait tout de même de nombreux jeux qui ont souffert de cette limite, avec en tête de liste Super Meat Boy par exemple, qui n’a jamais pu venir sur Wiiware à cause de sa taille.

GF : C’était pourtant une exclusivité Wiiware initialement, non ?

DA : À l’origine, oui, je ne suis pas fan de l’idée d’acheter des exclusivités. J’ai toujours voulu encourager les développeurs à gagner autant d’argent qu’ils le peuvent, où ils le peuvent. Je suis vraiment pour laisser leur liberté aux développeurs. Nous étions la première plateforme à embrasser Super Meat Boy et vraiment pousser le jeu, les inclure dans nos événements marketing. Mais ils ont eu cette offre de Xbox qui demandait aussi une certaine exclusivité. Donc je leur ai dit : « les ventes XBLA sont très fortes, vous savez, je pense que dans votre propre intérêt, vous devriez prendre cette offre et nous serons là quand vous serez prêt. » Puis le jeu est devenu trop gros et ils ne pouvaient pas le faire tenir dans les 40MB de toute façon. J’ai continué de les aider pendant tout le processus quand ils ont sorti le jeu sur Xbox, ils m’appelaient pour demander « Microsoft fait ci ou ça, qu’est-ce qu’on doit faire ?« . Je sais que vers la fin, ils étaient complètement rétamés, surtout Tommy. À ce point, le travail d’Edmund était fini, mais Tommy avait encore pas mal de code à écrire et à la fin, il était au bout du rouleau.

GF : Est-ce que vous avez toujours été focalisé sur la scène indie ?

DA : Non, quand j’ai commencé, mon premier rôle dans l’industrie était chez Xbox. J’ai commencé entre 6 mois et un an avant la sortie de la console, au début je travaillais avec les éditeurs First Party, on signait des contrats avec Activision et EA pour des exclusivités, où à l’époque, comme la Xbox n’était pas encore lancée, on payait plus pour des garanties de sortie simultanée avec les versions PS2. On leur offrait de la promotion. Le Xbox Live était aussi complètement nouveau puisque ça a commencé en 2002-2003 et, à l’époque, il y avait beaucoup de discutions autour de : « On a une console qui se connecte à internet, qu’est-ce qu’on en fait ?« . Et je m’étais chargé de formuler quelques propositions de plan stratégique, donc ce n’était pas vraiment la même chose. Quand je travaillais pour Xbox, j’avais ce sentiment que j’avais accès à des tonnes de jeux, mais que rien n’était vraiment original. Avec tout ce qui sortait, c’était : « Bof, j’ai déjà joué à ce genre de jeu.« . Je me disais que personne n’essayait de faire du nouveau, et c’est pour ça quand je regardais ce que Nintendo faisait avec la Wii, avant que la console elle-même ne sorte, je me disais : « Je ne sais pas si leur capteur de mouvement va marcher, mais au moins, ils essaient d’insuffler un peu de nouveauté dans les jeux.« . J’admirais beaucoup ça chez Nintendo. Donc quand je suis passé chez Nintendo, je me suis demandé comment on pouvait trouver de l’innovation dans les mécaniques de jeu, et c’est ça qui a fait que les indies sont devenus ma priorité.

GF : Avec le recul, est-ce que vous diriez que la plateforme digitale de Nintendo était une réussite, est-ce que vous auriez voulu changer certaines choses ?

DA : Il y a beaucoup de décisions prises pendant l’époque du Wiiware que j’aimerais changer et qui étaient tout le temps des obstacles, comme la taille des fichiers par exemple. Mais c’était bloqué en amont avec la décision prise pour la capacité de stockage de la Wii qui était très limitée, je crois que c’était 512MB. Donc si on avait autorisé les fichiers de faire 300MB par exemple, vous auriez pu avoir un jeu à la fois, point. Malheureusement, nous étions bloqués par cette décision, mais il y a d’autres choix, comme l’impossibilité de changer son prix une fois le jeu mis en vente. C’était une décision de Nintendo, pas un problème lié au système. Je les comprends un peu, l’intention était bonne, mais ça ne marchait pas dans le long terme. Une chose que j’aurais vraiment aimé changer, encore plus que les restrictions sur les prix, c’est la manière dont les jeux étaient présentés. Il y avait 2-3 captures d’écran, un peu de texte et c’est tout. Pas de vidéo. Il y avait une autre chaîne, la chaîne Nintendo, qui avait les vidéos pour les jeux, mais c’était très maladroit. Aussi, il n’y avait pas de contrôle éditorial du tout, quelque chose genre une liste des meilleurs jeux qu’on aurait mis en avant. À la place, on avait meilleures ventes d’un côté et nouveautés de l’autre et c’est tout.

GF : C’est un problème avec beaucoup de boutiques qui n’ont pas assez de contrôle.

DA : C’est très important d’avoir une ligne éditoriale dans une boutique. Un autre concept du Wiiware était qu’il n’y avait pas de processus d’approbation et depuis, Steam est allé dans cette direction aussi, Playstation aussi, beaucoup vont dans cette direction, en disant : « nous ne voulons pas être des gardiens, nous voulons que le marché décide« , ce qui conduit aussi à beaucoup de shovelware et sans aucun contrôle éditorial, il est difficile de trouver les bons jeux qui sortent parce qu’ils se perdent dans une mer de saleté.

GF : En regardant l’eShop aujourd’hui, diriez-vous qu’elle va dans la bonne direction ? Ils ont le contrôle éditorial et ainsi de suite.

DA : Absolument, tout le monde se rendait compte, seulement un an après le lancement du Wiiware : « on a les problèmes suivants et voici la direction qu’on doit suivre.« . Malheureusement, il a été décidé que ce n’était pas une priorité pour cette génération et que ce serait corrigé dans la suivante. Donc, ces corrections ont été faites pour les 3DS et Wii U. Ce n’est pas encore parfait, mais c’est déjà mieux. Je pense que l’eShop est comparable à ce qu’il y a sur Xbox ou PSN. Steam a beaucoup de fonctionnalités qui manquent encore aux consoles. Comparé à l’époque du Wiiware et DSiware Nintendo était clairement une ou deux générations derrière, je pense qu’elle est maintenant plus qu’à la hauteur.

GF : C’est bien plus agréable d’utiliser l’eShop sur la 3DS que d’utiliser celle de la Playstation.

DA : Je ne dirais pas le contraire. J’ai aussi remarqué que la boutique en Europe est bien pire que celle aux USA. Je suis très surpris qu’une entreprise comme Sony utilise deux systèmes différents. Je ne peux pas divulguer les chiffres réels, mais je sais que notre jeu a beaucoup mieux marché en Amérique qu’en Europe et cette disparité n’est pas visible sur Steam, où les ventes sont plus proches.

GF : Le magasin pourrait être responsable de cette disparité, mais la façon dont la presse couvre votre jeu peut également être responsable de la différence entre les régions. Ça pourrait être lié à la barrière de la langue que nous avons en Europe.

DA : Le jeu est localisé en français, ce qui était quelque chose qui me tenais très à cœur. J’ai vécu au Japon et je parle japonais, mais je préfère jouer aux jeux en anglais, parce qu’en fin de compte, je ne veux pas avoir à penser dans une langue étrangère quand je joue, et je ne veux pas que les gens qui jouent à Axiom Verge sentent que ce jeu n’a pas été fait pour eux. Je veux que les gens sentent qu’il a été fait pour eux, et nous espérons que plus de français découvrent le jeu.

GF : Avoir une traduction, surtout pour un jeu indépendant, n’est pas si commun. Ça fait plaisir de savoir que c’était une priorité pour vous.

DA : Ça l’était. Nous avons fait EFIGS (anglais, français, italien, allemand, espagnol) ainsi que le portugais brésilien, mais j’ai entendu des commentaires mitigés sur la qualité de la traduction, malheureusement, je ne suis pas en mesure de vérifier directement. Maintenant que nous avons lancé le jeu, je sais que certains joueurs russes ont déclaré que si nous ne faisons pas une version russe ils pirateront le jeu pour y mettre la traduction. Et à ça, je dis : « s’il vous plaît, faites la traduction et contactez moi ! Je serais heureux de mettre la traduction dans le jeu et de vous payer pour votre travail!« . Donc, si des joueurs français qui aiment le jeu sentent que tel ou tel passage devrait être traduit différemment, ils doivent se sentir libres de s’adresser à nous et nous serions heureux d’inclure des corrections dans un patch ultérieur du jeu.

GF : Donc, comme on parle de jeux sur lesquels vous travaillez, pourrions-nous parler de Chasm, le deuxième jeu pour lequel vous travaillez avec le développeur dans votre nouveau rôle ? Il a été en développement pendant un certain temps n’est-ce pas ?

DA : Une paire d’années maintenant, il a été kickstarté avec succès il y a un certain temps et était en développement même avant cela et il va toujours aussi fort aujourd’hui. La version alpha a été envoyée aux supporters, je pense il y a 3 ou 4 mois, beaucoup de gens ont pu y jouer, et il n’y a pas eu beaucoup d’itérations sur cette version. Il y a eu beaucoup de raffinements faits, basés sur les évaluations de la communauté, peaufiner quelque chose de différent afin que chacun puisse apprécier le jeu. Ça s’est avéré super précieux et maintenant, l’équipe en est à un point où ils savent comment le gameplay devrait fonctionner, comment les mécaniques devraient fonctionner.  Maintenant, nous allons arrêter de distribuer des versions, parce que l’une des préoccupations est que si vous continuez à donner un peu plus de contenu à chaque fois, au moment où vous lancez enfin le jeu, le public en aura déjà fini avec ce jeu. Donc nous nous sommes mis d’accord que celle-là serait la dernière offerte et maintenant nous construisons le reste du jeu jusqu’à ce qu’il sorte complet et offre une superbe expérience pour tout le monde.

GF : C’est un bon point, avec l’accès anticipé, ces jeux publient souvent des mises à jour progressives et quand ils en arrivent au lancement, les gens qui jouent au jeu sont souvent passé à autre chose.  Pensez-vous que c’est un problème qui doit être abordé par les développeurs ?

DA : Je pense que oui. Je ne suis pas un grand fan de l’accès anticipé pour la plupart des types de jeu. Il y a des jeux où ça marche. Si le jeu peut être modulaire, avec une nouvelle section du jeu qui n’était pas disponible avant, ou les jeux multijoueurs qui ont vraiment besoin d’un grand nombre de joueurs pour équilibrer le jeu, je pense que ceux-là marchent.  Mais pour la plupart des autres jeux, distribuer trop, trop tôt et trop souvent, finit par les desservir, car au moment où vous lancez le jeu, les gens sont passés à autre chose comme je le disais. Vos plus grands fans sont partis. En plus, ça devient assez arbitraire, quelles sont les différences entre la version 0.9, et 1.0. Je pense que Kerbal Space Program l’a très bien géré. Ils avaient une liste de ce que signifiait 1.0, avec les fonctionnalités qu’ils allaient mettre dans le jeu.  Et puis, quand ils ont fini la liste, ils ont sorti le jeu. Et aussi, quand ils faisaient leurs mises à jour, ils étaient très modulaire, en disant : « voici une nouvelle zone du jeu qui n’était pas disponible avant« , plutôt que « nous avons peaufiné ceci ou poli cela.« .

GF : Ça semble parfois injustifié d’utiliser l’accès anticipé, mais pensez-vous que cela est dû à l’inexpérience des développeurs ? Ils veulent mettre leurs jeux à disposition des joueurs, et se laissent dépasser ?

DA : Je pense que c’est plus pour le financement du jeu. Je pense que beaucoup de développeurs regardent l’accès anticipé comme un moyen de ne pas avoir à lever des fonds pour leur jeu, « les joueurs paieront pendant que je développe. » Cela peut fonctionner pour certains jeux, comme Minecraft, mais vraiment, combien de Minecraft y a-t’il ?  Un. Il y a quelques autres jeux qui ont été financés avec succès grâce à l’accès anticipé, mais la plupart du temps, ils promettent bien plus que ce qu’ils peuvent offrir.

GF : Il semble que l’accès anticipé soit aussi un moyen pour les développeurs d’éviter Kickstarter, et le drame possible que cela peut générer. Pensez-vous que les développeurs devraient essayer de trouver un compromis entre Kickstarter et l’accès anticipé ?

DA : Malheureusement, il y a très peu de bonnes solutions. J’aime vraiment la façon dont Tom a fait, je sais qu’il était dans une situation très particulière, où il pouvait travailler sur son jeu dans son temps libre, parce qu’il aimait ça. Le développement de jeux est gratifiant, mais tout n’est pas amusant. Heureusement, Tom aime chaque étape du processus. Idéalement, si vous pouvez avoir un job de jour et ensuite travailler sur le jeu à côté, c’est le meilleur des deux mondes, parce que vous ne mettez pas tout en jeu. Kickstarter, la manière dont je vois les choses pour les développeurs est qu’ils devraient supposer que tout l’argent qu’ils gagnent avec Kickstarter, va soutenir financièrement cette communauté de Kickstarter.  Donc, ils ne vont pas réellement obtenir des revenus supplémentaires qui iront vers le développement du jeu. C’est vraiment juste de la com’ qui paie pour elle-même.  Donc ça couvrira ses propres frais, mais l’argent que vous gagnez à partir de Kickstarter sera utilisé pour le temps et le soutien de cette communauté, pour fournir toutes les récompenses que vous promettez, payer toutes les taxes, etc… Donc à la fin, très peu de cet argent va dans le développement.

Cela dit, c’est probablement une bonne idée pour un grand nombre de gens de le faire, parce que même si financièrement c’est kif-kif, ça donne naissance à une communauté de fans qui suit activement votre jeu et en parle.  C’est donc une bonne chose, mais vous faites une erreur si vous pensez à ça comme une solution de financement. L’accès anticipé est un peu la même chose. Je pense que les deux doivent être considérés comme étant essentiellement le lancement du jeu. Dès que vous mettez votre jeu là-dessus, vous avez besoin d’avoir tout de prêt, comme avoir les médias prêts à couvrir le jeu, et les joueurs excités d’y jouer. Une chose que je pense est que beaucoup de développeurs ne comprennent pas et qu’ils vont dire : « Essayons Kickstarter, si ça marche pas, nous trouverons autre chose pour le financer.« . Le problème est que s’ils ont mit en place un Kickstarter et qu’il échoue, personne ne voudra investir dans ce projet. La presse ne va pas y regarder, le jeu semble mort. Vous avez essayé, vous avez échoué. Les développeurs peuvent dire : « Non, non. C’était juste le début. » Mais le lancement du jeu est fait, c’est trop tard.

GF : Donc Tom a financé l’ensemble du développement du jeu avec son travail à Petroglyph ?

DA : Oui, quand on en vient à développer un jeu comme un indie, généralement, le plus grand coût financier pour le jeu est le temps. Comme il a fait tout, il n’a rien eu à sous-traiter. Si vous lui demandez, il dirait que le coût du jeu était de zéro. Mais bien sûr, si vous calculez le temps accumulé sur plus de cinq ans, c’est tout de même substantiel. Il a financé le jeu en dépensant son temps et, heureusement, il avait son travail qui lui donnait des avantages comme une assurance maladie, etc…

GF : Quel était son rôle à Petroglyph ?

DA : Il était développeur. Il a des compétences diverses, il a été dans l’industrie comme artiste ; artiste technique, qui est quelqu’un qui développe des outils pour les artistes et aussi directement programmeur.

GF : Donc, au carrefour entre développement et artiste, qui est probablement le meilleur endroit quand vous voulez commencer votre propre jeu.

DA : Oui, et le design, je pense que c’est quelque chose qu’il n’avait jamais fait de façon professionnelle, il a fait le design pour son jeu sur le côté, mais il n’était pas un designer. Quand il a commencé à travailler sur le jeu, il a juste fait du contenu graphique pendant les 6 premiers mois. Puis il a continué avec la conception des ennemis et ainsi de suite. Pour chacune des zones, il décidait d’ajouter un certain nombre d’ennemis et combien d’armes seraient disponibles…  Il a fini par concevoir trop d’armes et les testeurs disaient qu’ils estimaient qu’il y en avait un trop grand nombre.  Quand ils en arrivaient à la fin du jeu, ils n’avaient jamais eu le temps d’utiliser toutes ces armes.  Mais c’est intéressant que certaines armes soient plus adaptées à certains styles de jeu, ce qui donne une grande variété.  Comme ça, malgré le fait que tout le monde utilise une poignée des 21 armes du jeu, pour chaque personne, c’est une poignée différente.  De plus, c’est toujours marrant de trouver de nouvelles armes.

GF : Les armes font beaucoup penser à Castlevania avec un maniement différent pour chaque arme et ainsi de suite.

DA : En parlant de ça, nous avons d’ailleurs rencontré Iga (Koji Igarachi) pour l’annonce de son nouveau jeu.  Et en parlant de la manière de traiter un Kickstarter comme un lancement, il l’a fait absolument parfaitement, avec un partenariat avec Twitch, il y avait aussi un grand événement presse autour du jeu. Il a vraiment très bien géré. Et nous avons donc été invités à assister à l’événement, à jouer avec lui à Axiom Verge, avec Tom assis juste à côté de lui et plus tard, ils ont parlé de design de jeu vidéo. Tom parlait des armes et a mentionné que l’une des choses qu’il n’aimait pas trop dans Metroid était qu’il y avait très peu de types d’armes, vous obtenez un peu plus de missiles et plus de munitions, mais c’est tout. Et Iga était entièrement d’accord et disait : « Oui, plus d’armes, c’est juste plus marrant.« 

GF : Une chose à propos du rayon à glitch. Où a-t’il trouvé l’inspiration pour ce qui est en fait un des principaux mécanismes du jeu ?

DA : Il m’a dit que c’était après un an de développement qu’il avait eu l’idée. Je ne peux pas me rappeler comment exactement, mais il pensait à ses jeux préférés, auxquels il jouait à l’époque et il se rappelait jouer avec la GameGenie qui permettait de débloquer des triches en crackant le jeu. Ou bien la Megadrive où vous pouviez changer de cartouche en plein jeu pour accéder à de nouvelles zones et ainsi de suite. Aujourd’hui, les systèmes sont suffisamment stables pour que vous ne puissiez pas les cracker aussi facilement. Je pense que le souvenir le plus fort était dans Super Mario 2 où il a réussi à accéder à une pièce qui n’était pas sensée être accessible aux joueurs et était juste un coin où un développeur avait placé certains éléments graphique mais qui n’était jamais sensés être vus.  Cette expérience l’a vraiment fait se sentir spécial et c’est aussi l’origine des zones secrètes générées aléatoirement dans Axiom Verge.

GF : Merci pour votre temps, c’était fascinant.

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