Diversi : Une organisation pour plus de diversité

Entretien avec Albertina, chef de projet chez Diversi, qui nous explique leur démarche et le futur potentiel de leur organisation.

Durant la Nordic Game Conference, j’ai rencontré l’équipe de Diversi. Diversi est un groupe qui oeuvre pour une plus grande diversité dans le monde du jeu vidéo, plus d’égalité, plus d’ouverture. Un projet qui semble plus important que jamais aujourd’hui, alors que les jeux vidéo sortent de l’ombre pour prendre leur place aux cotés du cinéma dans le panthéon des loisirs grand public.

 

Gamersflag : Tu travailles directement pour Diversi qui est une organisation oeuvrant pour promouvoir la diversité dans l’industrie du jeu vidéo. Est-ce que c’est uniquement du côté de l’industrie, ou aussi de la communauté ?

Albertina Sparrhult : Il y a trois piliers dans note travail. L’industrie et les entreprises, le secteur éducatif, et la communauté.

GF : Le coté communautaire, est-ce que ça implique de prendre contact directement avec les joueurs ?

AS : Ca dépend un peu. Par exemple, nous voudrions travailler plus avec Stockholm eSport et Malmö eSport. Nous travaillons aussi avec Sverok par exemple, donc il y a différents événements auxquels nous participons et avec lesquels nous collaborons pour diffuser notre message.

GF : Comme Dreamhack et d’autres plus grand public ?

AS : Exactement, comme Comic-Con et ce genre. Et il y a aussi le coté interaction entre développeurs et joueurs. Pour pas mal de développeurs, ça implique la modération, les forums, les game masters ou les responsables communauté. Si vous travaillez dans ces rôles, vous êtes sur la ligne de front de ce qui vient de la communauté.

GF : Ça implique un travail d’éducation, de support ?

AS : Disons qu’en premier lieu, c’est un réseau avec un rôle de couverture pour de nombreuses choses. Diversi a commencé avec une pré-étude par l’industrie du jeu suédois et l’organisme de recherche Praxikon. Ils essayaient de voir quels besoins il y avait, qu’est-ce qu’on pouvait faire. L’agence suédoise pour l’innovation, VINNOVA, leur a donné des fonds pour faire cette étude sur le sujet. Une des choses qu’ils ont découvertes est qu’il y a déjà de nombreuses initiatives qui existaient, en Suède et dans d’autres pays, mais elles manquaient de coordination entre elles. Le secteur éducatif ne partage pas ses ressources, et les entreprises non plus. Donc ça donne beaucoup d’initiatives locales avec des gens qui réinventent la roue en permanence, au lieu de construire sur des bases établies. Diversi essaie de coordonner ces initiatives existantes et de leur donner un coup de projecteur. C’est donc plus une question de renforcement positif, dire aux gens : « Regardez cette super initiative, c’est quelque chose que vous aussi pouvez faire. », ou bien : « On va faire un point rencontre aujourd’hui, quelqu’un va présenter sa façon de travailler avec la diversité dans leur entreprise », par exemple. C’est de la collecte et distribution d’information en fait.

GF : Est-ce que Diversi offre ses services directement aux communautés utilisateurs, comme des sites web, la presse etc. pour la gestion de leur communauté ?

AS : C’est un travail en cours. Pour nous, c’était plus naturel de commencer avec l’industrie et le secteur éducatif. C’est là que notre réseau est le plus fort et l’organisation est encore assez jeune, elle a été officiellement formée cet hiver. On commence doucement à aller vers un travail avec les communautés, mais c’est encore assez ouvert. Nous en sommes plus au niveau des idées et à leur demander ce qu’elles attendent de nous.

GF : Est-ce que vous contactez directement les développeurs ou est-ce que c’est eux qui font le premier pas ?

AS : Jusqu’à maintenant, c’est surtout eux qui nous ont contactés. Ça va dans les deux sens cela dit. Au-delà de la collecte et distribution de l’information, nous organisons aussi des groupes locaux, en utilisant un format de rencontre. Notre organisation, les entreprises et le secteur éducatif d’une zone locale se rencontrent, nous envoyons de l’information aux différents participants que nous pensons potentiellement intéressés, avec la liste des sujets qui seront abordés, la possibilité d’avoir une discussion ouverte sur le sujet de la diversité dans les jeux vidéo, on partage un bon repas et tout le monde peut amener ses suggestions. Les problèmes peuvent être différents dans chaque zone locale. Ça nous permet de se réunir, parler et surtout collecter toutes leurs idées dans une boite. On organise ensuite quelques rencontres de plus, en fonction de ce qui les intéresse. Par exemple : « Visiblement, ici, les gens veulent parler du concept de préjugé inconscient.« 

GF : Donc vous essayez de développer les résultats initiaux ?

AS : Exactement, on créé des opportunités basées sur les besoins qu’on observe. Ou bien, on peut aussi organiser un game jam sur le thème de la diversité. Ça dépend un peu d’où vous êtes aussi. Dans le Gotland par exemple (ndlr : une île au sud-est de la Suède), il y a une grande communauté étudiante, mais peu d’entreprise, donc leur problème est différent.

GF : Ils ont plus besoin de contacts.

AS : Exactement. Ensuite, il y a la communication entre les différents groupes locaux. Ces groupes sont encore quelque chose que nous construisons, mais l’intention est qu’ils soient tous connectés à notre base d’opération à Stockholm et que chaque groupe ait un représentant à la maison mère.

GF : Le rôle de Diversi est donc de faire tourner les engrenages.

AS : Oui et de suivre l’évolution aussi. Si quelqu’un organise une conférence sur la diversité et qu’ils ont besoin que des informations soient recueillies, que des données soient distribuées, on peut aider. On peut aider avec le suivi, car ils savent qu’ils peuvent se tourner vers nous pour ça.

GF : Pour l’instant, Diversi est très focalisée sur la Suède. Mais l’organisation travaille aussi avec d’autres pays ?

AS : Comme je le disais, c’est une organisation encore assez jeune, donc on commence avec la Suède bien sûr. Mais on voit qu’il y a beaucoup d’intérêt à l’international, surtout dans le reste des pays Scandinaves, donc nous commençons à travailler sur cet aspect aussi. Nous essayons de trouver un format pour travailler avec ces questions qui soit aussi facilement exportable à l’international. Ensuite, il est important de reconnaître que les différents pays ont des difficultés différentes, exactement comme les différentes régions de Suède. Donc on ne doit pas débarquer avec : « Ok, voilà ce que vous devriez faire. », mais plus : « Avec quoi est-ce que vous voulez travailler ? Quelles sont vos principales difficultés ? ». La première étape serait bien sûr de voir quelles initiatives existent déjà. Sur quoi est-ce qu’elles travaillent ? On permet à ces gens de se rencontrer, on prend un peu de recul et on voit ce qui en sort. Ensuite, on recueille le tout et on fait une synthèse en disant : « Voilà les questions qui semblent être les plus importantes pour vous. Comment voulez-vous les aborder ? ».

GF : La première étape est donc toujours de voir comment est la scène locale et aider les gens à entamer le dialogue.

AS : Oui, car ce sont des questions très sensibles, certains prennent ce genre de choses très à cœur. Pour moi, c’est une question des structures et de culture de notre société et le besoin que nous avons de les faire évoluer.

GF : Est-ce que les autres initiatives que vous avez rencontrées étaient aussi nouvelles, ou est-ce que certaines précèdent Diversi ?

AS : Je pense que certaines se sont malheureusement éteintes. C’est probablement une question de timing. C’est idéal maintenant. Du moins, ici, en Suède, mais je vois une pression grandissante à l’international. Je voudrais aussi ajouter que quand on parle de diversité, ça n’est pas une idée si facilement définissable, et la définition évolue en permanence. Mais pour le moment, quand on parle de diversité, on parle d’ethnicité, d’âge, de sexe, de sexualité, d’emploi, de ressources ou de milieu social.

GF : C’est facile d’oublier que les jeux vidéo sont un hobby privilégié.

AS : En effet, mais ça l’est encore plus de travailler dans ce monde. L’influence des jeux vidéo comme média est large, mais les gens qui les créent sont encore un club restreint. Par exemple, dans cette conférence, tout le monde parle anglais, ce qui est reflété dans les jeux qui sont créés. Ça devient une question de démocratisation quand un média consommé par tant de monde est produit par si peu. Mais ça n’est pas simple. Je me suis trouvée dans certaines situations où j’étais la seule femme, et lorsque je propose : « Ce poster sur lequel on travaille, peut être que cette fois-ci, on devrait y mettre une femme au lieu d’un homme. », parfois, il peut y avoir des réactions négatives, mais la plupart du temps, c’est surtout : « Oh, on y avait pas pensé. ». Les gens sont souvent ouverts à de nouvelles idées, mais il faut aussi qu’ils soient exposés à des gens de différentes cultures, avec différents antécédents, qui apportent une nouvelle perspective. Ça permet aussi aux développeurs de rester innovant et de rester à jour avec leur public. Je pense que c’est important pour ça aussi, c’est une question de profit, d’argent.

GF : En parlant de profit, est-ce que tu vois un futur où Diversi prendrait un rôle plus actif dans la promotion ou la production de jeux faits par des développeurs dont on entend pas parler souvent, comme sur la scène africaine ? Est-ce que vous cherchez à étendre l’organisation à l’international de ce côté-là ?

AS : Pas encore. Pour le moment, nous avons des idées. En général, les gens nous apportent des idées, des projets. Ensuite, c’est une question de voir ce qui est réalisable. Nous ne sommes pas encore nombreux. Mais dans le long terme, proposer du soutien dans de nombreux domaines, même internationalement, serait l’idéal. C’est difficile de lire l’avenir cela dit. Mais même si nous ne pouvons pas le faire directement, nous pouvons peut-être pointer vers ceux qui le peuvent.

GF : Avez-vous rencontré des réseaux similaires dans d’autres pays ?

AS : Il existe des initiatives, certaines plus globales que nous. Les Geek Girl Meetup et LadyCade sont de bons exemples d’efforts plus globaux, au niveau européen au moins. Si vous regardez le travail de l’IGDA (International Game Developers Association), la diversité est une priorité importante de leur agenda.  Une de leurs priorités est de recenser les initiatives qui existent déjà et de les mettre en contact. Donc nous avons la même démarche, à une échelle différente. Ça montre qu’il y a plus de monde qui œuvre dans ce but. L’idée principale est d’être plus inclusif. Mais au-delà de l’inclusion des minorités, c’est aussi l’inclusion de ceux qui ne comprennent pas ces questions. Car comment peut-on changer les esprits si on érige des barrières entre nous?

GF : Avez-vous rencontré de la résistance de la part de l’industrie ?

AS : Parfois, oui. Mais les gens à qui nous parlons directement sont toujours très courtois. Même si parfois, ils ne comprennent pas. Ils demandent : « Pourquoi avons-nous besoin de ça ? ».

GF : C’est plus : « Je ne vois pas le problème. » que : « Je ne veux pas le changer. »

AS : Oui, c’est très courant. Un peu comme les préjugés inconscients. Parfois, comme ces personnes n’ont jamais été elles-mêmes dans la situation, ils n’arrivent pas à s’identifier. C’est quelque chose que je vois beaucoup. Mais avec le temps, peut-être qu’ils peuvent réaliser. Cela dit, il y a des situations où il faut imposer des limites. Mais on peut toujours faire la différence entre un individu et ses actions. On peut dire : « Je n’accepte pas ces actions, ce comportement, mais ça ne veut pas dire que je ne t’accepte pas en tant que personne. »

GF : Te sens-tu optimiste par rapport aux progrès de Diversi jusqu’ici ?

AS : Pour le moment, oui, je suis optimiste. Je prends les choses comme elles viennent, mais il y a un réel mouvement pour le bien dans l’industrie. Beaucoup d’ouverture et de curiosité. Cette conférence a aussi été fantastique et nous avons reçu beaucoup de retours positifs. Il y a tellement de gens qui sont venus nous voir, intéressés par nos projets et pour nous dire : « Je ne me sens plus seul. »

GF : Merci beaucoup.

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