[TEST] Virginia, qui a mis du Lynch dans mon jeu ?

Ça faisait quand même un sacré moment, Virginia. Un petit moment qu’on se tournait autour et qu’on ne se croisait pas. Que ce soit par manque de temps ou de moyens, je n’avais pas encore eu l’occasion de t’essayer (je te tutoie, ça ira plus vite). C’est désormais chose faite et le moins que l’on puisse dire c’est que …

Labyrinth Woman ou les méandres de la narration

Sorti il y a un petit moment déjà (en septembre 2016), Virginia, développé par Variable State et édité par 505 Games, avait suscité mon intérêt. J’entendais beaucoup de gens en parler et son parti-pris assez osé, dirons-nous, m’avait fait noter le jeu dans un coin de ma mémoire. Un de ces quatre il faudra que je me le fasse, me disais-je. C’est chose faite depuis qu’il se trouve régulièrement en promo dans les environs de 2€ sur les plateformes comme Steam ou GOG. Alors je jacte, je jacte, mais qu’est-ce qui a retenu comme ça mon attention ? Principalement, le fait que je n’ai pratiquement pas touché à un walking simulator depuis que le genre explose (d’où une certaine curiosité de ma part) et la promesse d’une expérience proche de celle d’un film de David Lynch. Le tout cuté comme un film. Par cuté, j’entends que le jeu est découpé comme un film avec des cuts qui viennent rythmer la narration.

Difficile de parler de Virginia vu que le jeu repose avant tout sur la narration et sur le déroulement de l’intrigue. Le gameplay étant réduit au minimum avec la possibilité de se mouvoir et d’interagir avec certains éléments du décors. Il faudra donc parler de tout ce qu’il y a autour du jeu sans jamais vraiment aborder ce qui en fait le sel. Exercice périlleux, s’il en est, mais que je vais quand même tenter.

Point d’éléphant dans le jeu mais un bison et une femme

Pour bien aborder Virginia, il faut donc avoir quelques notions de cinéma, sans quoi il est difficile de saisir le jeu. Je vous parlais des cuts, ils peuvent être difficiles à comprendre dans la théorie mais un exemple vaut parfois mieux qu’une longue explication. Dans la plupart des scènes de dialogues, deux personnages se font face avec, à chaque fois, la caméra qui se fixe sur le visage de celui qui parle. On parle alors de champ-contrechamp. Chaque fois que la caméra change de visage, le film se « coupe » on parle alors de cut (on ne voit pas la caméra bouger et se tourner vers le deuxième personnage, on aurait vite le tournis). Chaque séquence entre deux cuts est appelée un plan et si ce plan dure un long moment, on parlera de plan-séquence. Ce sont les bases du montage d’un film, ce qui permet de lui donner du rythme.

Le montage, le rythme, le découpage des scènes représentent un choix qui permet de donner du sens à un film. Ce choix n’est pas anodin depuis que l’on a théorisé le montage et le découpage des films, en particulier depuis Sergueï Eisenstein. Ce réalisateur soviétique a été l’un des premiers (je ne vais pas rentrer dans le débat de qui a été le premier) à théoriser le montage comme un vecteur de sens. Le choix du montage est primordial pour qui s’intéresse au cinéma et si le sujet vous donne envie d’approfondir, je ne peux que vous conseiller la chaîne Youtube du Fossoyeur de Films ou celle de Chroma. Une fois ces bases posées il nous reste à aborder Virginia.

Pas de plage ici, amateurs de dunes passez votre chemins

Virginia est donc monté comme un film, avec des cuts qui viennent brutalement stopper la progression linéaire à laquelle les joueurs sont habitués. En ce sens, Virginia est un des essais les plus convaincants dans le volonté de mêler jeu vidéo et cinéma. La frontière est définitivement brouillée de par la matière même du jeu. Là où un titre comme Heavy Rain vient imiter les codes du cinéma sans avoir de recul sur ce média, Virginia propose, à mon avis, une vraie réflexion sur cette démarche.

C’est sans doute sa principale force mais aussi sont principal défaut. Ne ressemblant à rien de connu dans le monde vidéoludique, c’est un objet déroutant et difficile à appréhender. Un jeu qui s’adresse aux cinéphiles et qui risque de laisser pas mal de monde sur le bord du chemin de par son point de vue radical. C’est néanmoins, à mon sens, une œuvre qui fait bouger les lignes, qui ouvre des portes et qui pose des questions sur la nature même du jeu vidéo comme médium (c’est à dire, comme moyen de transmettre quelque chose, pas comme Élizabeth Teissier). Et encore, on a pas abordé la narration dans Virginia.

Un jeu doux comme du velours bleu

Ah, la narration de Virginia ! Il y a tellement de choses à en dire même si je ne pense pas me lancer dans une analyse du jeu comme j’ai pu le faire pour Fault ou Dropsy (certains ont déjà fait certainement mieux que ce que je pourrais produire sur le sujet). Le second point déroutant du jeu est donc dû au fait que Virginia ne comporte aucune parole. Ce qui ne veut pas dire que le jeu ne dit rien. S’il y a beaucoup d’implicite dans le jeu, on comprend tout de même facilement l’intrigue. Suivre l’investigation du FBI sur la disparition d’un jeune homme et enquêter, par la même occasion, sur sa partenaire.

Si l’intrique se comprend aisément, c’est l’histoire et les détails qui peuvent sembler plus abscons. Le jeu est sans aucun doute un hommage à David Lynch et à son style. Une narration parfois décousue et volontairement trouble pour mettre mal à l’aise le spectateur. Virginia est avant tout un cri d’amour à Lynch et à ce cinéma avec, parfois, des références à d’autres réalisateurs (Kubrick en particulier). Le choix de ce metteur en scène comme influence première colle parfaitement avec le propos du jeu. Qui mieux que Lynch arrive à repousser les limites du cinéma ? Du coup, le choix de base, déjà clivant, de produire une œuvre hybride épouse parfaitement les contours de l’œuvre de Lynch.

Un jeu avec un cœur sauvage

C’est aussi là que Virginia risque de laisser pas mal de monde sur le bas-côté. Déjà, de par sa forme, le jeu ne laisse pas indifférent mais en prenant comme référence un réalisateur disons … clivant le jeu prend encore plus le risque de laisser les joueurs derrière. Pourtant, Virginia possède, toujours selon moi, énormément de qualités et, en premier lieu, une direction artistique et un sens de la mise en scène pertinents. Tout est extrêmement travaillé dans la façon de montrer l’action ou dans la découverte des nouvelles scènes (ou des nouveaux plans, selon comment on voit Virginia). Ces points font que le jeu mérite que l’on s’y intéresse.

Le titre pousse aussi la critique que je suis en train de faire dans ses retranchements. Ais-je envie de réduire le jeu à une simple note, le jeu est-il réductible à une simple note ? N’est-il pas trop … autre. S’il est des jeux qui se veulent être de simples produits de consommation, il en est d’autres qui font bouger les lignes, essaient de nouvelles approches. Même si elles sont parfois bancales et maladroites elles ne justifient pas, à mon avis, une simple note pour être appréhendées. A méditer, donc.

Verdict

0/10

Virginia est définitivement un jeu à part et cette note est, évidemment, faite pour marquer cette différence et non sa qualité. De par sa forme et son fond, il en laissera sans aucun doute beaucoup de marbre voire en énervera probablement certains (comme le cinéma de Lynch, en fait). Il reste néanmoins, à mon avis, une proposition unique et une réflexion intéressante sur le jeu vidéo et sur ce que le cinéma peut lui apporter. Un jeu à découvrir en connaissance de cause.

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