[MAGIC 2016] Interview de Christophe Héral et Raoul Barbet

Christophe Héral et Raoul Barbet étaient au MAGIC 2016, notamment pour être jurés du concours de création de jeux vidéo. Ils ont également passé quelques instants avec nous pour répondre à nos questions et, même si le temps nous a manqué pour évoquer le fameux concours, nous sommes revenus sur Wild, Life is Strange ou encore Remember Me. On espère que ça vous intéressera !

 

GamersFlag : Bonjour à vous et merci de nous accorder un peu de votre temps. Christophe, vous avez auparavant déclaré que les différents domaines dans lesquels vous travaillez ne sont pas hiérarchisés dans votre esprit, prenez-vous donc un plaisir équivalent, mais différent, dans le fait de travailler sur un jeu vidéo ou dans l’animation, par exemple ?

Christophe Héral : C’est exactement ça, parce que, pour moi, il n’y a aucune différence, aucune préférence. Simplement, travailler avec des gens … les projets … j’aime à dire que je suis un « compositeur, … » et après, derrière, tu mets tout ce que tu veux. Compositeur de musiques de documentaires, de films d’animation, de génériques télé, tout me fait bonheur car ce que j’aime avant tout, c’est écrire des notes. Peut-être plus précisément, j’aime écrire des notes plutôt pour l’image mais quelle que soit l’image.

GamersFlag : Jolie formule !

Christophe Héral : Tu pourras m’envoyer le truc, comme ça je m’en rappellerai et je la ressortirais ! (rires)

Raoul Barbet : Sur ton site !

Christophe Héral : Voilà !

GamersFlag : Raoul, vous avez également officié dans des domaines très divers, partagez-vous le même ressenti ?

Raoul Barbet : Oui, enfin je dirais, moi du coup, ce n’est pas une technique qui va … comment dire ? Se séparer sur différents médias. En tout cas, oui, moi j’ai fait un peu de cinéma, du documentaire, du film d’animation et du jeu vidéo et, clairement, toutes ces disciplines sont intéressantes. Après, elles vont avoir des caractéristiques différentes donc il faut aussi savoir les travailler. Moi je trouve que chaque aspect est intéressant, par exemple, la passivité qu’on peut avoir devant un film en tant que spectateur et, en même temps, en tant que réalisateur on a un contrôle plus important sur le spectateur. C’est intéressant mais, des fois, l’interactivité va me manquer dans certains univers où je trouve que l’histoire est plus intéressante si elle est interactive et si le joueur est partie prenante de la chose. Je sais que ça m’était arrivé quand j’avais fait un film d’animation, au bout d’un an ou deux on se dit : « Ah, c’est dommage qu’un joueur ne puisse pas se promener dans cet univers, qui a été créé pour ça ». Donc, voilà, après je pense qu’il y a des limitations dans chaque média et ça dépend vraiment de quelle histoire on veut raconter et quelles émotions on veut faire passer au joueur ou au spectateur. Des fois, c’est avec un pad en main, et parfois c’est juste en étant passif pendant une heure et demie devant une œuvre d’animation ou de live. Mais oui, bien sûr, je pense qu’on peut apprendre de beaucoup de secteurs et c’est en ayant beaucoup d’expérience que tu vas, aussi, amener ça dans le nouveau média dans lequel tu vas travailler. Par exemple, la VR qui arrive maintenant, je trouve que c’est encore une autre façon de raconter des histoires, encore un nouveau média, pour moi, complétement différent et, pareil, on va prendre des techniques qui viendront de plein d’autres arts.

GamersFlag : Christophe, dans une interview relativement récente vous aviez parlé de votre collaboration à un jeu indépendant, intitulé Jade Dream : ce genre d’expériences, avec des moyens plus réduits est-il indispensable à votre équilibre artistique personnel ?

Christophe Héral : Oui, moi, encore une fois, je raisonne par rapport à des projets humains, c’est-à-dire que je fais attention à qui me propose quoi. Donc ça ne sera pas forcément une question de budget. Ça peut m’arriver de travailler vraiment avec des tarifs très très bas sur un projet qui me tient à cœur puis, après, de travailler avec des tarifs beaucoup moins bas mais toujours sur des projets qui me plaisent. Donc, je travaille avec des indépendants et je suis très content de travailler avec des indépendants. Mais, encore une fois, c’est plus lié aux humains, il faut que ça smashe entre les gens et, après, le projet qui est derrière c’est pas, …disons que je suis rarement déçu par le projet quand je suis pas déçu par l’humain qu’il y a derrière le projet. Après, pour revenir sur les formes, c’est comme si on disait : « Aaaah, est-ce que vous préférez la peinture au cinéma d’animation, est-ce que vous préférez l’opéra à la danse », et tout ça. Mais, bien sûr que tout nourrit tout ! On a besoin de voir des choses qui sont dans une partie et qui viennent donner de la lumière à une autre partie. Je crois pas qu’on arrive à se cloisonner : c’est plusieurs petits ruisseaux qui font les grandes rivières.

GamersFlag : Encore une belle formule !

Raoul Barbet : Toi, tu mets des formules à chaque fois, quoi !

GamersFlag : J’attends la vôtre maintenant !

GamersFlag : Raoul, justement, parlons de Remember Me, que nous avons globalement beaucoup apprécié et qui a reçu un accueil commercial mitigé. Malgré cela, quelle était, selon vous, la plus grande réussite du titre ?

Raoul Barbet : Moi je ne suis pas la meilleure personne pour en parler, parce que je n’étais pas Game Director du jeu et je ne faisais pas partie de l’équipe qui était là, à la base. Moi, je suis arrivé surtout pour tout ce qui est l’aspect cinématographique et les pipelines cinématographiques. Alors, clairement, ce que j’ai adoré et ce qui m’a attiré directement dans ce projet, c’est l’univers, c’est la bible qui a été écrite qui est énorme, qui a été faite par une équipe de scénaristes. J’ai trouvé que c’était vraiment un univers très très riche, intelligent et qui traitait de thèmes assez forts et très durs : la mémoire, l’aspect social des nouvelles technologies, le danger qu’il y a dans le partage de connaissances et de données personnelles, etc. Pour le coup, il y avait matière à faire des milliers de jeux, des milliers de films, de comics, tout ce que tu veux. C’est vraiment un superbe univers donc je suis assez triste que, voilà … ça se soit arrêté là. Donc voilà, c’est le point, je trouve, très fort.

GamersFlag : Raoul, placez-vous la narration comme la clé de voûte des jeux sur lesquels vous travaillez ? Vos expériences passées vous ont permis de notamment travailler sur Heavy Rain, qui base une grosse partie de son intérêt sur cet aspect et les jeux de Dontnod sont dans cette veine, avec un gameplay toutefois différent. Est-ce que c’est cela qui vous fait opter pour tel ou tel projet ?

Raoul Barbet : Après, il faut pas non plus … il faut être un peu modeste, je ne vais pas dire : « Je vais travailler sur ça, ou ça », c’est plutôt : « Il y a un boulot là, est-ce que vous voulez bien travailler avec moi ? ». Disons que je suis pas arrivé, encore, à un moment où je peux choisir tout ce que je veux faire. Mais clairement, oui, c’est ces projets-là qui m’attirent de base. Je suis très intéressé par le fait de raconter des histoires et le fait de créer des personnages crédibles. Surtout là où il y a quelque chose à raconter. Après, je suis le premier à adorer jouer à des jeux où c’est juste pour le fun mais ça m’aide toujours, moi personnellement, quand il y a un petit background ou une petite histoire. Même un truc de baston, je suis content de connaître l’histoire de ce personnage-là, alors que tout le monde s’en fiche et veut se taper, mais moi je sais que c’est un truc que j’ai toujours aimé.

GamersFlag : Moi, dans les Tekken, par exemple, c’était un truc que j’aimais beaucoup justement : faire les petits scénarios des personnages …

Raoul Barbet : Ouais, ouais ! Enfin moi ça m’aide, en tout cas, à avoir envie de connaître plus d’un univers et de jouer. Donc, oui, clairement, ça aide. Après, je sais qu’il y a pas forcément besoin mais, clairement, ce qui m’attire, c’est des personnages crédibles, c’est aussi des choses à raconter et, évidemment, du coup, les jeux un peu plus narratifs me plaisent pour ça.

GamersFlag : Christophe, fin 2014, alors que Wild venait tout juste d’être dévoilé, vous parliez d’une orientation éventuelle de l’OST, avec des instruments utilisant la pierre, je crois que vous parliez de litho …

Christophe Héral : Ah ? tuilophone ?

GamersFlag : Je ne sais pas, mais en tout cas, il y avait de la pierre.

Christophe Héral : C’est plus … c’est pas des pierres, ce sont des tuiles, en fait. Je suis allé voler des tuiles sur les maisons, celle du voisin, par exemple (rires). Et, en fait, je les positionne pour qu’elles se mettent en vibration et j’aime beaucoup. Alors, c’est comme des lithophones mais c’est avec de la terre cuite. Par exemple, il y a un pot, il y a plusieurs trucs et c’est très très beau. Vous prenez un pot de fleur, puis il faut le tenir avec un doigt et (il imite la sonorité), c’est magnifique. Tu tapes avec une mailloche …

GamersFlag : Puis vu le contexte du jeu …

Christophe Héral : Ben c’est-à-dire qu’en fait, je ne sais pas si à cette époque-là … Je ne suis pas assez fort en période préhistorique, mais il me semble que, déjà, on faisait de la poterie à l’époque. C’est peut-être 3000 avant-J.C. donc largement à la poterie. C’est le néolithique, vers la fin, donc « litho », c’est la pierre, donc, la « nouvelle pierre » … Enfin, je sais pas trop ce que ça veut dire en fait. Et puis, en fait, j’en ai rien à faire si les pots de chez Castorama n’existaient pas encore. Ça fait de très belles sonorités, très très douces et qui sont des sonorités qui ne sont pas des sonorités de facture moderne, c’est tout. Donc après, il y a des flûtes en bambou, il y a des choses comme ça, mais il n’y aura pas d’instruments … enfin, à priori, on s’oriente vers, véritablement, une autre musique qu’une musique orchestrale, ça va être une musique qui va être faite avec des instruments dont pouvaient peut-être jouer les gens à cette époque-là. Et puis, elle va me trimbaler vers une part peut-être plus liée à une émotion sur le moment et pas accompagnant un combat, par exemple, des choses comme ça, elle va pas jouer ce rôle-là. Il va y avoir des tambours aussi, plusieurs percussions, puis il y a du chamanisme donc voilà. Puis après, je peux pas trop dévoiler non plus, plus que ça.

GamersFlag : Tout ça reste pas mal sur votre idée de l’époque du coup.

Christophe Héral : On a éliminé la possibilité qu’il y ait un orchestre de cordes, avec des cuivres, ça, je pense qu’on a éliminé. Peut-être pour des trailers ou des choses comme ça, parce que peut-être que Sony va demander des choses très précises mais on a plus envie d’aller vers un truc où la musique peut fabriquer des événements mémorables, on va dire ça comme ça. Participer au côté « frisou », « wahou » de l’expérience. « Frisou »: « chouette », quoi !

Raoul Barbet : N’importe quoi, il invente des mots, quoi ! (rires)

Christophe Héral : « Frisou », c’est très joli.

Raoul Barbet : C’est Montpellier ça ?

Christophe Héral : Oui, la banlieue ! (rires)

GamersFlag : Raoul, souhaiteriez-vous une deuxième « saison » de Life is Strange, sans parler de confirmation ?

Raoul Barbet : Il y aurait sûrement de belles choses à faire sur une saison 2, mais bon tout cela dépend toujours de tellement de choses… C’est compliqué.

GamersFlag : Et je voulais aussi demander …

Christophe Héral : Oui, j’aimerais BGE 2 ! (rire)

GamersFlag : J’allais mettre BGE 2 dans l’intitulé d’une autre question, mais pas pour demander s’il allait sortir ! Là j’allais juste demander si la problématique pour une suite de Remember Me est toujours la même qu’il y a quelques mois ou années vis-à-vis de Capcom ?

Raoul Barbet : Oui, Capcom a les droits et c’est eux qui décideront.

GamersFlag : Dernière question, du coup, Christophe, après les rumeurs insistantes qui ont vu le jour après l’E3 2015, selon lesquelles Beyond Good and Evil 2 serait annulé, Ubisoft a affirmé que Michel Ancel était encore au travail sur un ou plusieurs projets pour eux. Sans rien dévoiler de plus, êtes-vous impliqué dans ce ou ces projets ?

Christophe Héral : Facile : oui !


Pour le plaisir, le teaser de Beyond Good and Evil 2, diffusé en 2008. S’il s’avère un jour que le projet existe toujours, inutile de dire qu’il doit avoir bien changé.

Un grand merci à Raoul Barbet et Christophe Héral pour leur bonne humeur et leur disponibilité. Interview menée par Powerfull04.

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