GamerGate et la colère mal placée

Il y a en ce moment une tempête qui gronde sur le monde du jeu vidéo. Et comme toutes les tempêtes, elle ne fait pas la distinction entre les cibles qu’elle touche.

J’ai passé la trentaine. Famille, job, tout ça. Je joue aux jeux vidéo depuis que j’ai trois ans. À l’époque, mon grand-père vendait des ordinateurs et il me laissait jouer sur ses machines quand on passait lui rendre visite. Il me racontait que je savais exactement quelles touches je devais taper pour lancer mes jeux, malgré le fait qu’évidemment, je ne savais pas encore lire. J’ai grandi avec les jeux vidéo, je me suis toujours considéré comme un joueur.

Dans les années 90, quand j’ai commencé à aller au collège et au lycée, être un joueur était souvent un moyen rapide de se faire traiter comme un bizut. Des années avant que les termes bully et même gamers ne fassent leur arrivée dans l’hexagone, la stigmatisation dont ont été victime ces personnes parce qu’elles était un peu nerd était tout à fait réelle. Elle était douloureuse, et elle forçait beaucoup de jeunes joueurs à arrêter les jeux vidéo en grandissant, juste à cause de la pression sociale qu’ils subissaient parce qu’ils jouaient aux jeux vidéo.

Aujourd’hui, tout le monde joue. La plupart des gens ne se rendent même pas compte du fait qu’ils jouent, sur leur smartphone, sur Facebook, parce qu’ils ont une Nintendo DS et qu’ils n’y ont jamais vraiment pensé, mais tout le monde joue ici ou là. Être un gamer n’est plus l’exception. Ça n’a rien de bizarre, ou de diffèrent. Et c’est génial ! Je ne peux pas dire à quel point je suis heureux de voir qu’aujourd’hui, si on mentionne Call of Duty, Pokemon, Skyrim ou Zelda, quasiment tout le monde sait exactement de quoi on parle et aura même des anecdotes personnelles. Quel progrès dans notre société quand lorsque les journalistes ringards se moquent des joueurs de jeux vidéo, ils se prennent un tôlé monumental qui les oblige à s’excuser publiquement, même si pas très adroitement.

Pour moi, les jeux vidéo sont le cinéma du XXIème siècle. Et par là, je veux dire que le cinéma est la forme d’art qui a le plus marqué le siècle dernier, et que le jeu vidéo sera celui qui marquera notre siècle. En tant que telle, les jeux vidéo sont appelés à se diversifier, à ouvrir de nouvelles voies d’exploration dans l’interactivité que seuls les jeux vidéo peuvent proposer. Peut-être même que comme le cinéma qui changea de nom au cours du XXème siècle, les jeux vidéo deviendront autre chose. Sans limiter ce que nous avons déjà, sans arrêter de faire tel ou tel style de jeu, bien au contraire ! Les “interactifs” pourquoi pas, un moyen plus vaste et général de décrire un média qui n’a de limite que notre imagination. Mais tout ça n’est pas le sujet que je souhaite aborder aujourd’hui.

Je souhaite parler de quelque chose de bien plus sombre, et de bien plus présent que ça. Aujourd’hui, je souhaite parler d’un mouvement qui a pris forme dans les forums internet, d’abord de 4chan puis de la majorité des sites de jeux vidéo anglophones, et maintenant qui fait couler l’encre un peu partout dans le monde. Vous aurez peut-être deviné, c’est GamerGate.

Qu’est-ce que GamerGate ? Si vous regardez d’un côté, c’est un mouvement qui demande plus d’éthique dans la presse jeux vidéo. Si on se limite à ça, oui ça parait pas mal. Après tout, on a tous eu des moments de colère quand on lit certains articles qui s’apparentent plus à de la publicité qu’à une quelconque couverture presse d’un jeu, d’un studio etc… Et si GamerGate était juste à propos de ça, je serais bien d’accord. Au fur et à mesure que les jeux vidéo deviennent de plus en plus gros, ils doivent aussi être traités avec le sérieux et le respect que les autres formes d’art ont. Pour tous les magazines sans conséquences qui couvrent les salles obscures, il y a des Cahiers du Cinéma qui, non seulement, traitent du sujet avec sérieux, mais contribue activement à l’épanouissement du média en général.

Mais c’est là que le bât blesse. Gamergate n’a pas commencé comme un mouvement noble, aux idéaux élevés d’éthique de la presse. Il s’agit d’un hashtag crée autour d’une affaire sordide centrée sur une développeuse, nommée Zoé Quinn. Elle est l’auteur du jeu Depression Quest, un jeu gratuit (notez bien ça, c’est un détail très important) qui a pour but d’aider à comprendre comment fonctionne une dépression et d’essayer d’aider ceux qui en souffrent, ainsi que leurs proches. L’affaire tourne autour d’accusations selon lesquelles Zoé Quinn aurait reçu de l’attention des médias pour son jeu parce qu’elle aurait eu une relation intime avec plusieurs journalistes. Cette accusation, qui a été confirmée, puis contredite, puis discréditée pour finir par être plus ou moins invérifiable, est le point de départ du hashtag GamerGate. Rappelons ici que les faveurs que Quinn aurait reçu sont pour un jeu GRATUIT, elle ne fait pas un centime sur les ventes.

Cette violation de la vie privée d’une développeuse a pris le relai d’une campagne longue et violente d’attaques envers elle qui avait commencée quand elle a proposé son jeu sur le service Greenlight de Steam. Un jeu dont personne n’avait entendu parler en dehors du cercle somme toute restreint de la presse spécialisée dans la couverture des jeux indies, est alors devenu un sujet majeur de controverse et a mis énormément d’huile sur le feu du débat “est ce que tel titre est un jeu vidéo ou non ?” Un débat qui pour ma part est ridicule, puisque comme je le disais plus haut, les jeux vidéo ne sont limité que par notre imagination.

C’est ici que les choses commencent à prendre une tournure assez toxique pour faire honneur à Tchernobyl. Les gens qui critiquent Zoé Quinn ne se contentèrent pas de lui dire qu’ils trouvaient que son jeu n’était pas assez bon pour être sur Steam (ce qui est le principe de Greenlight), ils lui envoyèrent des menaces de mort, des menaces de viol, des insultes, ils trouvèrent son adresse personnelle et envoyèrent des “paquets” à sa maison, ils l’appelèrent sur son téléphone personnel pour l’insulter et la menacer, certains se rendirent même à son domicile. Ça parait incroyable qu’un jeu si simple et gratuit puisse susciter une réaction si affligeante.

Et pourtant ce n’est pas la première fois. L’année dernière, la critique Anita Sarkeesian avait reçu un traitement similaire lorsqu’elle avait lancé un Kickstarter pour une série de vidéo sur le rôle de la femme dans les jeux vidéo et l’aspect sexiste qui y est si prévalent. Et soyons clair ici, les jeux vidéo ont une forte tendance à utiliser des stéréotypes ridicules avec les femmes dans les jeux vidéo, parfois pour des raisons bassement marketing, parfois parce que les développeurs n’y pense pas à deux fois, parfois juste parce que c’est le but du jeu. Je ne dis pas que c’est toujours le cas, bien au contraire, mais il est ridicule de dire que le problème n’existe pas.

Mais je ne souhaite pas parler de ce débat ici, je souhaite juste rappeler que les réactions vitrioliques et infâmes envers des femmes dans le monde du jeu vidéo sont malheureusement un fait établie, et que Gamergate à ses racines dans une telle affaire avec l’affaire Quinn. Gamergate n’a pas commencé avec les multiples preuves flagrantes de l’influence des éditeurs sur les grands sites de jeux vidéo, il a commencé quand un ex-petit ami frustré a décidé de laver son linge sale en public sans la moindre gène et accusé son ex, Zoé Quinn, de le tromper avec un journaliste. C’est d’un niveau à peu près aussi pitoyable que les poubelles qu’on trouve dans la presse people la plus dégoutante.

Pendant quelques semaines, Gamergate est un hashtag qui apparait à chaque fois que Zoé Quinn est mentionnée, puis une première vague de critique se lève dans la presse jeu vidéo avec la publication de nombreux articles qui parlent de la mort du gamer. Ces articles parlent de comment une identité culturelle est devenu corrompue par la haine et l’intolérance. Ironiquement, après que les gens qui s’identifiaient comme des gamers soient eux-mêmes victimes d’intolérance pendant tant d’année. Comment toute une démographie a fini par décider que son petit monde ne devait jamais changer, et comment les marketers de l’industrie ont donné aux gamers une image si fantaisiste qu’elle n’a plus de sens.

Et pour être parfaitement honnête, j’ai effectivement du mal à me reconnaitre dans ces gamers qui crient que les jeux comme Depression Quest vont “tuer” l’industrie, parce qu’ils vont faire disparaitre les “vrais” jeux. Je ne peux pas me reconnaitre dans cette masse criarde qui insulte sous le couvert de l’anonymat. J’ai trop été la victime de ces attaques quand j’étais jeune pour tolérer ce genre de comportement.

Le mouvement Gamergate est ensuite entré en phase contrôle des dégâts, avec de nombreux acteurs essayant de refocaliser le débat sur l’éthique dans la presse, la défense des droits du consommateur, voire même, la lutte contre le harcèlement. Ironique sur cette dernière, quand on garde à l’esprit les mois qui ont précédé le mouvement.

Mais si vous regardez les discussions qui traitent de Gamergate, vous y trouverez toujours les mêmes rengaines se plaignant des soi-disant scandales de Zoé Quinn et Anita Sarkeesian, qui pointent un doigt accusateur vers Gone Home et Dear Esther comme n’étant pas des jeux, soutenant qu’ils mettent en danger l’industrie. Mais surtout et le plus fréquemment, c’est l’opposition systématique et violente envers ce qu’ils appellent les Social Justice Warriors qui revient, encore et encore. Qu’est-ce qu’un SJW ? C’est apparemment quiconque critique la sous-représentation des femmes dans les jeux vidéo, quiconque soulève l’idée même qu’il y ait le moindre problème dans les jeux vidéo. Comme si le simple fait d’être critique de quoi que ce soit faisait immédiatement de vous l’ennemi, destructeur des jeux vidéo, celui qui va tout gâcher.

Soyons sérieux ici, les jeux vidéo ne sont mis en danger par personne, mais ce genre d’attitude ne fait que renforcer l’image rétrograde que les medias ont de nous. Si vous n’êtes pas d’accord sur le fait que les jeux vidéo peuvent être sexistes, expliquez-vous sans recourir à des termes aussi idiots que SJW, surtout si vous allez l’utiliser comme une insulte. Martin Luther King était un Social Justice Warrior, est-ce qu’il y a une seule personne qui va dire que sa lutte contre la ségrégation était inutile ou nuisible ?

Pour conclure, j’aimerais proposer un compromis. Il n’y a pas de place pour le harcèlement, les bully, et les menaces en tout genre dans une société intelligente. Nous devons TOUS faire de notre mieux pour mettre fin à ce genre de pratiques. L’éthique dans la presse est un but louable et que nous souhaitons nous même défendre de toutes nos forces. C’est pour cela que nous créons notre propre site, pour offrir un espace communautaire diffèrent et indépendant avec un contenu éditorial unique. Mais pour défendre ces principes, il est impossible de recourir aux tactiques ignobles que je mentionnais, ou bien même de pointer les autres du doigt en disant “ils le font aussi.”. Il est impératif de faire mieux, de faire les choses proprement depuis le début.

C’est pour cette raison que je pense que Gamergate doit mourir. Ce hashtag pourri doit disparaitre et les défenseurs légitimes de la presse éthique doivent s’organiser derrière un nouveau mouvement. Il est impératif de purger toute cette agressivité pour pouvoir avoir un débat intéressant et une voix qui vaut la peine d’entendre. Si votre argument est focalisé sur une personne, au lieu de pratique qui touchent toute l’industrie, comme les embargos privilégiés, les exclusivités trop flatteuses et les review events durant lesquels des rédacteurs “testent” un jeu dans un environnement entièrement contrôlé par l’éditeur, vous vous trompez de cible. Ou vous utilisez l’éthique dans la presse jeux vidéo comme une excuse pour une croisade bien plus glauque et bien moins glorieuse que vous voulez l’admettre.

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