[LIVRE] Space Invaders, comment Tomohiro Nishikado a donné naissance au jeu vidéo japonais, par Florent Gorges

Je viens tout juste de finir le bouquin et je suis bien embêté. Pourquoi ? Nous allons y venir. Commençons plutôt par le commencement. L’ouvrage qui nous intéresse aujourd’hui s’intitule : Space Invaders, comment Tomohiro Nishikado a donné naissance au jeu vidéo japonais ! (tout un programme !), est écrit par Florent Gorges et est publié chez Omaké Books.

Au commencement, Tomohiro créa les jeux !

Tout part d’une idée simple : au début du cinéma, personne ne prenait ce média au sérieux. Du coup, énormément de choses furent perdues. Ne voulant pas que cela se reproduise pour les jeux vidéo, Florent Gorges voulut interviewer Tomohiro Nishikado, le créateur de Space Invaders, pour ne pas que cette mémoire se perde et ainsi conserver une partie de l’histoire du jeu vidéo. Cette intention, louable s’il en est, est donc celle de l’auteur, qui demanda audit créateur de Space Invaders s’il pouvait devenir son biographe.

Mais qui est Florent Gorges, me direz-vous ? Traducteur/interprète (notamment des mangas Zelda), auteur (Histoire de Nintendo), biographe, animateur sur Nolife (Les oubliés de la Playhistoire), gérant des éditions Omaké Books et cofondateur de Pix’n Love. C’est donc lui qui, par une conjoncture favorable des astres, demanda à Tomohiro s’il pouvait écrire l’histoire de Space Invaders et, en filigrane, celle de son créateur.

La terre était informe et vide

L’ouvrage suit ainsi un développement chronologique réparti en cinq chapitres, de l’enfance de Tomohiro Nishikado à la période post-Space Invaders. Force est de constater que nous en apprenons énormément, notamment à propos du Japon au sortir de la Seconde Guerre Mondiale et des difficultés de ses habitants, en basculant vers la création de bornes électromécaniques. C’est vraiment une somme de connaissances qui s’offre au lecteur curieux. Le tout regorge d’anecdotes, comme le fait que Tomohiro Nishikado soit un féru d’électronique et qu’il arrivait à créer de nombreuses choses à partir de peu (radio, jouet, armes à feu … oui, oui …).

J’ai aussi appris énormément sur les ancêtres des bornes d’arcade, les bornes électromécaniques que j’ai citées plus haut. Ces bornes sont plus ou moins des bornes d’arcade mais sans composants électroniques et reposant principalement sur des principes … mécaniques. Pour donner un exemple, la borne Periscope de chez Taito qui simule l’intérieur d’un sous-marin et dans laquelle les joueurs regardent à travers un … périscope (bravo !) en fait partie. Sans en dévoiler trop, l’ouvrage suit Tomohiro Nishikado de ses études à son entrée chez Taito. Il y développera plusieurs bornes électromécaniques jusqu’à son premier contact avec celle de Pong d’Atari qu’il essaiera de surpasser.

Tomohiro dit : Que la lumière soit !

Je vous le disais dans l’introduction, cet ouvrage m’a « chafouiné ». Pourquoi ? Parce qu’il s’agit avant tout d’une hagiographie. Qu’est ce qu’une hagiographie ? Pour faire simple, c’est un ouvrage consacré à la vie d’un saint qui se caractérise avant tout par un manque de recul sur l’objet d’étude. C’est malheureusement ce sentiment qui m’est venu en continuant ma lecture : Tomohiro Nishikado est systématiquement présenté comme un génie et pas une fois je n’ai le souvenir d’avoir lu une phrase qui ne soit pas méliorative à son encontre.

Entendons-nous bien, je n’ai rien contre ce genre d’ouvrage en tant que tel, ce qui me chagrine, c’est que l’auteur nous le présente comme un ouvrage à valeur de recherche historique, ce qui est clairement la volonté affichée dans l’introduction : « Certaines personnes, dont je fais partie, se sont rapidement senties investies d’une mission : éviter que l’Histoire du jeu vidéo ne connaisse le même destin que celle du cinéma ».

J’imagine bien la difficulté que cela doit être. Pour pouvoir écrire la biographie de Tomohiro Nishikado, il faut bien entendu avoir de bons rapports avec lui. De plus, j’imagine que la société japonaise a des codes différents, notamment en ce qui concerne le respect des aînés, mais est-ce que cela doit influer au détriment de l’objectivité absolue et nécessaire à l’écriture de tout ouvrage à vocation scientifique et historique, je ne le pense pas.

Tomohiro vit que la lumière était bonne

Une dichotomie se fait sentir dans la construction générale de l’ouvrage. En suivant un plan « chrono-thématique » (qui suit une progression chronologique en essayant de trouver des thématiques pour chaque période), on arrive bien à se rendre compte de la progression entre bornes électromécaniques, bornes d’arcade à proprement parler et les bouleversements que cela induit. Il est juste dommage que certaines périodes débordent sur d’autres, ce qui oblige à des aller-retours parfois laborieux.

Je vais maintenant me permettre une petite digression car s’il y a un terme qui a le don de m’agacer, c’est celui de Playhistoire. Je comprends parfaitement le jeu de mot (plutôt bon, au demeurant) mais il n’a pas sa place dans un ouvrage qui se veut historique. Si on se place du point de vue de l’historien dans son aspect scientifique, l’utiliser comme un terme établi pour parler d’une période historique est un non-sens d’autant plus que la formule semble plus exister pour le jeu de mot en lui-même que pour sa valeur scientifique.

Le dernier point qui m’a fait sourciller est la quasi absence de tout ce qui a trait à la vie personnelle de Tomohiro Nishikado. Si l’on en apprend forcément beaucoup durant la première partie, son enfance, on ne parle pratiquement plus jamais de sa famille, ce qui me semble pour le moins curieux. Par exemple, quand Tomohiro va travailler pour Taito, il ment à ses parents en leur assurant qu’il est encore à l’université, ce qui est indiqué dans l’ouvrage. Mais on ne saura jamais comment il finira par annoncer à ses parents qu’il leur a menti. De plus, on apprend tout juste qu’il vit avec une femme et un enfant au détour d’une demi-page qui sera la seule et unique fois où sa vie personnelle est évoquée.

Tomohiro vit tout ce qu’il avait fait et cela était très bon

Bon, certes, il semblerait que j’aie cassé du sucre sur le dos de l’auteur sur deux paragraphes mais cela reste des problèmes d’historiens sur des aspects scientifiques qui ont plutôt tendance à influer sur la manière de présenter les choses que sur les informations en elles-mêmes. Cela ne doit pas faire oublier que l’ouvrage est réellement une mine d’informations et qu’on en apprend énormément sur le jeu vidéo en général et japonais en particulier. Je suis persuadé que la plupart des lecteurs n’y auraient pas prêté attention en le lisant de manière détendue. Et il faut dire que l’ouvrage se lit justement très bien, d’autant plus qu’il possède énormément de contenu visuel intégré par une maquette qui le met parfaitement en valeur.

Si vous avez eu des étrennes en ce début d’année, le livre peut parfaitement vous convenir ou constituer un agréable cadeau pour toute personne s’intéressant un tant soi peu aux jeux vidéo. Gardez simplement en tête qu’il ne s’agit pas d’un ouvrage que l’on pourrait qualifier d’Histoire scientifique du sujet qu’il traite, ce qui n’enlève rien à la qualité des informations présentes dans l’ouvrage.

Aussi intéressant sur le fond (les informations présentes) que partial sur la forme (la manière de les présenter). C’est ce que je retiendrais de l’ouvrage Space Invaders, comment Tomohiro Nishikado à donné naissance au jeu vidéo japonais. L’ouvrage est une mine d’informations sur les débuts du jeu vidéo japonais mais la relative partialité avec laquelle les informations sont traitées par l’auteur m’a un peu chagriné. Cela n’enlève rien au travail fourni, il faut simplement en être conscient.

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