Pillars of Eternity

La nostalgie est un moteur drôlement puissant parfois.

Certains projets naissent de l’idée “et si on faisait un nouveau X”, où X est quelque chose dont le public se rappelle avec nostalgie. Ces derniers temps, cette approche a eu beaucoup de succès. Dans le cinéma, il semble que chaque jour on nous annonce le grand retour de telle ou telle franchise. Parfois pour le bonheur de tous, parfois… Moins. Dans les jeux vidéo, on en est aussi à la fête du remake. C’est assez paradoxal, avec une industrie si jeune, mais c’est un fait, nos jeux vieillissent souvent bien moins bien que des films, progrès technique oblige. Mais parfois, un genre entier se retrouve un peu oublié, largué par les goûts du grand public qui ont changés.

Alors, certains studios essaient de capitaliser sur la nostalgie tout en faisant les yeux doux aux goûts de la majorité, mais l’équilibre de ce genre de tour est très précaire. Le reboot de Syndicate en FPS en est une preuve parfaite. Ce jeu aurait été bien mieux reçu sans le bagage de la franchise, mais à cause de ce dernier, un FPS était condamné à prendre les fans à rebrousse-poil.

Mais s’il est si risqué de miser sur le retour de ces franchises en les mettant à jour, et comme les grands studios ne veulent pas prendre le risque de financer des jeux qui seraient plus fidèles aux genres originaux parce qu’ils ne voient pas le public pour ces genres, que nous reste-t’il ? Kickstarter (encore une fois) s’avère être la réponse que les développeurs ont choisi. Mettre la décision dans les mains et dans les porte-monnaie des joueurs a permit la renaissance de genres qui avaient plus ou moins rendu l’âme, parfois au siècle dernier.

Pillars of Eternity est un de ces ressuscités d’un autre temps. Un RPG dans la directe lignée de Baldur’s Gate, Icewind Dale et Planescape Torment. Un héritage justifié d’ailleurs, puisque c’est Obsidian qui développe Pillars et qu’il est constitué en grande partie de l’équipe qui avait donné naissance à ces grands classiques du jeu de rôle sur PC.

Financé par les fans, Pillars fait des merveilles avec ce que l’on ne peut qu’imaginer être un budget modeste dans le paysage vidéo-ludique d’aujourd’hui. Il tourne sur une version mise à jour du moteur Infinity Engine qui faisait tourner Baldur’s Gate en 1999. La grande attention pour les détails réussit le tour de force de me faire penser pendant une minute que les souvenirs que j’avais de ces jeux étaient tout aussi beau que Pillars. Mais après avoir relancé ma version originale de Baldur’s Gate, je me suis rendu compte à quel point ces jeux avaient vieilli depuis. Ce qui rend le coup de lift de Pillars encore plus impressionnant

Mais toute nostalgie mise de côté, Qu’est-ce que Pillars of Eternity ?

C’est un RPG traditionnel, avec un monde unique et très riche (vraiment, vous allez passer les 10 premières heures du jeu à en apprendre toujours plus sur ce monde dans lequel un dieu a été mis à mort avant même que vous commenciez à jouer), des classes de personnage à la fois familières et originales (comme les Chanteurs, entre Barde et Prêtre dont les pouvoirs viennent de litanies qu’ils récitent pendant chaque combat) et un système de jeu qui donne la part belle au dialogue et à l’utilisation de vos compétences hors du combat, mais qui reste assez tactique pour satisfaire les puristes.

La difficulté peut être brutale si vous jouez au-dessus du mode Normal, et les sorts de zone ne font souvent pas de distinction entre amis et ennemis, ce qui vous force vite fait à apprendre à vous positionner intelligemment. Mais les options de combat sont vastes, vu que votre groupe de compagnons est vite composé de six classes, toutes différentes. Et si vous n’aimez pas avoir un Paladin dans le tas, vous pouvez toujours aller dans une taverne et “recruter” un autre aventurier, que vous pouvez alors créer vous même !

Il reste deux problèmes majeurs à mon sens au niveau des combats : vos alliés n’ont absolument aucun libre arbitre. Si vous ne leur donnez pas d’ordre, ils se tiendront là comme des imbéciles à ne rien faire, ou avec un peu de chance à taper comme des sourds sans utiliser un seul pouvoir… Un problème pour vos lanceurs de sorts.

Le deuxième est un peu aussi lié à l’IA puisque c’est le pathfinding. Les personnages que vous contrôlez sont malheureusement bloqués par leurs alliés et ne peuvent pas passer au travers d’eux. Ça parait assez logique jusque-là, mais le problème est que vous verrez souvent un de vos gars courir désespérément autour d’un de ses compagnons au lieu de faire un petit détour. Ce genre de problème peut vous coûter un combat si vous ne vous rendez pas compte de ce qui se passe immédiatement, un problème assez inacceptable quand on a un mode Hardcore dans le jeu qui efface votre perso s’il meurt. Et n’oublions pas l’incroyable frustration de pouvoir détecter un piège, mais si vous ne pouvez pas le désactiver, faites bien attention à l’éviter, car vos personnages s’empresseront de sauter dessus et de le déclencher comme des idiots si vous ne faites pas gaffe, même s’ils savent qu’il est là.

Pour revenir sur le gameplay hors combat, Pillars est un jeu qui donne la part belle au dialogue et à la narration. Une part monumentale d’ailleurs, puisque l’écriture du jeu est probablement un de ses points les plus forts. La traduction en français est… inégale. Il y a tellement de travail qu’il est évident que ce qui a été accompli par les traducteurs pour une sortie simultanée en français est admirable, mais il faut bien reconnaitre que le style en souffre. C’est d’autant plus dommage quand on prend en compte le fait qu’une grande partie de l’Histoire du monde est considérée comme connue par les personnages du jeu, et donc tout n’est pas toujours clairement expliqué, ce qui a dû être une sacrée galère pour les traducteurs (je sais que j’en met une couche sur cet aspect, mais ayant fait le travail moi-même, je sais à quel point ça peut être difficile de faire justice à un jeu qui donne une telle part à son écriture).

Reste que ce jeu va vous faire lire beaucoup de texte, que ce soit dans la langue de Shakespeare ou celle de Molière, vous allez manger des lignes et des lignes de texte. C’est un tout petit peu dommage que les dialogues soient parfois doublés, parfois pas (souvent pas). Mais surtout, c’est vraiment dommage que la voix du narrateur qui intervient à quelques rares occasions ne soit pas plus présente durant le jeu, surtout quand on prend en compte la quantité astronomique de texte qui décrit l’action. Certes, les jeux vidéo sont généralement un média dans lequel on veut plus de “montrez, ne racontez pas”, mais en gardant à l’esprit les restrictions posées par le moteur du jeu et le budget somme toute modeste, on comprend facilement le choix du texte. Une voix off pour ces passages, surtout ceux importants pour l’histoire, n’auraient pas fait de mal.

Verdict

8/10

Pillars Of Eternity est un jeu qui ne fait pas de concessions. Il excelle complètement à offrir exactement le type de jeu que les fans de la première heure attendaient. Un RPG profond, superbement détaillé, tout à fait plaisant à regarder. Est-il parfait? Non, il n’y a aucun doute qu’on aurait pu se passer des problèmes d’IA et des pavés de texte servis sans assaisonnement pour aider la digestion. Mais Pillars of Eternity reste un des jeux de rôle les plus passionnants dans lesquels j’ai passé 50h sans une minute de temps mort.

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