Il fait la part belle à la production indépendante et ses auteurs : INDIE GAMES est le nouvel ouvrage de la maison Bragelonne signé Bounthavy Suvilay. Une première pour la scène indé qui n’avait jusqu’alors aucun ouvrage lui étant pleinement consacré. Des mémoires aussi mérités qu’attendus…
Et la tâche s’annonce difficile. La notion même de production « indépendante » n’est pas arrêtée, sa définition ne cessant d’évoluer avec le secteur auquel elle appartient. Si le parti pris de l’auteure est celui d’aborder la création indépendante comme une « œuvre réalisée par un seul concepteur ou une équipe très restreinte », cette dernière est très vite associée à l’« originalité » et la « liberté créative » que sous-tend cette production, tel un gage d’authenticité dans un univers de consommation intensive :
« L’ambition de ce livre est simple : vous démontrer qu’en dehors des best-sellers comme Call of Duty ou Fifa, qui commercialisent chaque année une nouvelle version à consommer, il existe une infinité de possibles tant du point de vue des mécaniques de jeu, de l’esthétique et du degré de challenge que du traitement de l’émotion ».
Une brève Histoire du jeu vidéo
Bien que divisé en cinq chapitres distincts auxquels s’ajoutent trois interviews exclusives, chacun d’eux gravite autour d’un noyau commun : le jeu vidéo indépendant.
La tentative du premier chapitre est à souligner, celle de proposer un regard historique, une distance dirons-nous, sur un objet relativement jeune. Cette histoire débute par un juste retour sur les pionniers du jeu vidéo qui, faute de formation et de marché stable, ont produit leurs premiers jeux selon la « voie de garage ». Loin d’être des professionnels, ces passionnés ont par leurs usages et leurs loisirs défini les genres et les codes du jeu tel que nous le connaissons aujourd’hui. Suite à ces portraits atypiques, l’auteure s’attache à décrypter l’essor de la scène indépendante de la fin des années 2000 à aujourd’hui, et ses conséquences sur le secteur, ses auteurs et ses créations. De l’ « indiepocalypse » au « nouvel âge d’or », nous retenons la manière dont l’inventivité de ses membres a favorisé la reconnaissance et l’acceptation de la « valeur culturelle » du jeu vidéo par le grand public…
La vie d’indé n’est pas un long fleuve tranquille
Parce que la création d’un jeu est avant toute chose une aventure humaine, « il est nécessaire de relater les trajectoires individuelles et collectives des personnes participant à la création d’une oeuvre. »
Cette seconde réflexion effectue un retour sur ce qui constitue le quotidien des indépendants, force de récits, d’anecdotes et de témoignages. Des portraits sans filtres qui traduisent une dure réalité, mais nécessaires pour mieux comprendre ce qui est à l’oeuvre, dans la vie comme à l’écran. Sans omettre les réussites et notamment, la joie d’échapper à une production implacable pour redonner sens au geste créateur, l’auteure recense les difficultés qui jalonnent tout à tour la grande traversée vidéoludique. Seront ainsi abordées celles liées à l’environnement de travail des développeurs comme au secteur lui-même : contraintes de marché, recherches de financements, déferlante administrative, collaborateurs, etc. Loin d’être un mode d’emploi ou un quelconque guide de survie, il est appréciable de voir rappelé combien le succès ou l’échec d’un jeu indé n’est pas tracé mais sujet aux aléas de sa propre condition.
Expériences de jeu
Ce troisième chapitre ouvre le champ des possibles, et se veut parcourir «l’étendue des expériences que les titres indés proposent ». En invoquant une importante quantité de jeux, auxquels les reproductions rendent grâce, Suvilay met en lumière toute la richesse et la variabilité des idées dans le paradigme des indés. A mi-lieu entre théorie et moodboard, la force du propos est précisément celle de multiplier les exemples qui se voient aussitôt illustrés sur une double page impressive.
Sont d’abord exposés les jeux misant sur un principe de gameplay original, à l’exemple de Super Meat Boy (2010), The Binding of Isaac (2011) ou Dead Cells (2017), puis les jeux que l’auteure nomme les « flâneries esthétiques », innovantes pour « leur univers esthétique récompensant la curiosité des joueurs ». Ainsi, de l’action à la contemplation, il semble que l’ouvrage fasse émerger deux catégories – deux expériences – la seconde étant davantage attrayante pour ses qualités visuelles que son interactivité. Entre tableaux animés, fictions narratives et walking sims, une question se pose alors : le jeu vidéo indé en viendrait-il à muter pour devenir une peinture numérique en mouvement ?
Directions artistiques : de l’élément secondaire à l’identité visuelle
« Un bon jeu nécessite-t-il de bons graphismes ? »
Tout comme le fera après lui le chapitre consacré au sound design, « Directions Artistiques » présente l’évolution esthétique de la production indé, tel un Evoland textuel traversant les âges.
Aussi, l’histoire débute-t-elle par l’inévitable problématique « hardware/créativité », combat ancestral de l’homme à la machine dans une lutte pour la liberté d’expression. Aujourd’hui, les contraintes techniques se sont déplacées pour être davantage associées à des impératifs de temps et d’argent, tandis que les créateurs portent – comme au temps jadis de la micro-informatique – de multiples responsabilités. Le lecteur voyage donc de style en style, depuis le pixel art d’hier au pixel art d’aujourd’hui, celui-ci n’étant plus placé sous le sceau de la contrainte mais bien du choix artistique.
Design sonore : de l’electro au symphonique
L’ouvrage se clôture par un dernier chapitre consacré à l’épopée du sound design qui, comme sa consoeur graphique, est inextricablement liée à un contexte technologique. Il lui faut attendre plusieurs décennies avant de s’émanciper du hardware et ainsi nourrir en profondeur les univers de jeux.
Le lecteur découvre alors les origines du sound design dont les sons, entre musique électro et chiptune, « étaient avant tout des indications permettant de souligner les mécaniques de jeu ». Puis, il observe leur émancipation progressive depuis une simple fonction d’habillage vers une illustration sonore profonde, riche et immersive, servie par des compositions orchestrales uniques. Force d’anecdotes surprenantes, l’auteure dévoile les schèmes du processus de création dans son entièreté. Surtout, elle nous informe sur la place du sound designer indépendant, non pas dans une échelle de production, mais dans le studio même : une fenêtre ouverte sur ces artistes électrons qui oscillent d’un projet à l’autre sans frontière à leur créativité.
FIN DE PARTIE
Sans artifice, avec peu de budget et une équipe limitée, cet ouvrage rend hommage à toutes les ressources déployées par ces développeurs pour conserver leur indépendance créative. « Tout humain a un besoin fondamental d’exercer sa créativité sur le monde, d’une manière ou d’une autre. La meilleure façon que j’ai trouvée jusqu’ici est la programmation de jeux vidéo… » (John Watson, Stoic Studio).
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